Un spectacle fraternel

Jean-Pierre Han

3 décembre 2012

in Critiques

Tout un homme de Jean-Paul Wenzel. Mise en scène de l'auteur. Théâtre des Amandiers de Nanterre. Jusqu'au 9 décembre. Tél. : 01 46 14 00 00.

Certains spectacles possèdent cette vertu très rare de travailler longuement en nous après que nous les avons vus ; Tout un homme de Jean-Paul Wenzel fait partie de cette catégorie. L'une des raisons de ce phénomène réside sans doute dans le fait que Tout un homme, et ce beau titre est de ce point de vue plus qu'emblématique, outre ses nombreuses autres qualités, est un spectacle fraternel. Tout un homme, ce sont à la fois tous les hommes et le destin de l'un d'entre eux dans chaque épisode du spectacle. Le titre ramasse toute l'humanité à travers la description du parcours d'un Algérien dans la première partie du spectacle, d'un Marocain dans la deuxième. Parcours d'immigrés venus travailler dans les mines de Lorraine. Il y a au départ l'enquête et les entretiens de l'auteur menés pendant trois mois sous l'égide de l'université de Metz auprès de mineurs maghrébins venus s'établir en Lorraine. De cette enquête et de ces entretiens sont nés un livre de « récit-fiction » déjà baptisé du même titre. Loin d'Hagondange, écrit dans les années soixante-dix, racontait le vie d'un couple d'ouvriers de la ville lorraine qui, la retraite venue après une vie entière consacrée au travail, se retrouvait devant la viduité de leur nouvelle existence. Faire bleu, composé une dizaine d'années plus tard, rendait compte de la stupéfaction de l'auteur revenu sur les lieux et découvrant un parc de Schtroumpf à la place du site sidérurgique ! Tout un homme, adapté à la scène, par Jean-Paul Wenzel en compagnie d'Arlette Namiand, qui ont condensé différents témoignages et donc véritablement créé des personnages de fiction nourris du réel, est pour ainsi dire le troisième volet de cette trilogie lorraine. Le volet de la mémoire, et celui du récit, puisque le réel d'autrefois a disparu. Et pour rendre compte de ce que fut la vie de ces immigrés à partir des années 1963-1973, Jean-Paul Wenzel retrouve les vertus fondamentales du théâtre : un plateau quasiment nu, avec juste quelques vêtements de mineurs accrochés aux cintres, quelques chaises, des instruments de musique, et surtout une équipe réduite d'acteurs, une véritable troupe, capable d'intervenir et d'endosser sans affect les différents rôles, tous les rôles autour de la figure centrale du récitant, fabuleux Hammou Graïa dans la première séquence, convaincant David Geselson dans la deuxième, entourés de Hovnatan Avédikian, Fadila Belkebla, Mounya Boudiaf, et des musiciens Hassan Abd Alrahman et Jean-Pierre Rudolph. Et, entre émotion et rire, car il n'y a rien de compassé et absolument aucun pathos, bien au contraire, dans les récits menés et joués avec une certaine alacrité par Hammou Graïa, David Geselson et leurs compagnons d'aventure, le spectateur est saisi dans les rets des témoignages, leur poids de violence et d'humanité, dans une constante justesse de ton. Tout, aussi bien dans les propos tenus que dans le travail théâtral, tout nous invite à relever la tête et à mener combat pour la dignité humaine. En cela Tout un homme est un véritable stimulant et fait, malgré la dureté du propos, chaud au cœur.

Jean-Pierre Han