Une représentation paradoxale

Jean-Pierre Han

22 novembre 2012

in Critiques

Un chapeau de paille d'Italie d'Eugène Labiche et Marc-Michel. Mise en scène de Giorgio Barberio Corsetti. Comédie-Française, Théâtre Éphémère. Jusqu'au 7 janvier 2013. Tél. : 0825 10 16 80.

Drôle de Chapeau de paille d'Italie que celui présenté à la Comédie-Française. Drôle : prenons le terme au pied de la lettre. La représentation est effectivement très drôle, voire ébouriffante de drôlerie, concoctée de main de maître par Giorgio Barberio Corsetti dont on connaît la capacité à investir les textes et à les retourner comme des gants. Mais drôle aussi parce que relativement étrange. Avec cette représentation donc un étrange et très paradoxal phénomène se produit : Corsetti est d'une fidélité absolue au texte de Labiche, mais plus il est fidèle, plus il manifeste sa fidélité à travers un humour décapant, et plus l'auteur semble disparaître ! Au bout du compte on finit par se demander avec circonspection où est passé Labiche. Pourtant tout y est, ses personnages déjantés embringués dans une histoire abracadabrante d'un chapeau de paille mangé au bois de Vincennes par le cheval d'un jeune rentier sur le point de célébrer ses noces. L'histoire ne tient qu'à un fétu de paille – celui du chapeau justement –, mais Labiche en très habile homme tient la gageure, et nous ramène après une série de séquences loufoques, au point de départ, à savoir à la maison de la femme adultère, propriétaire du fameux chapeau, et que le mari, irascible cocu, attend depuis le petit matin. La boucle se boucle alors que la noce endiablée continue à suivre le manège en toute innocence et en toute gaîté… Corsetti imprime à cette ronde infernale un rythme haletant ponctué par une musique live imaginée et interprétée par Hervé Legeay en compagnie de Christophe Cravero et d'Hervé Pouliquen. Corsetti a mis les petits plats dans les grands avec force déploiement scénographique (les moyens y sont et c'est tant mieux pour une fois) bien dans sa manière, et surtout il a à sa disposition une troupe au mieux de sa forme et qui prend un plaisir fou, semble-t-il, à interpréter (en jeu et en chant) la comédie de Labiche et de Marc-Michel qu'il convient de ne pas oublier. Ils sont plus d'une vingtaine à occuper le plateau et à y faire souffler un vent de folie, avec à leur tête un vibrionnant Pierre Niney en jeune marié, le toujours impayable Christian Hecq et quelques autres qui suivent sans peine le mouvement, tels Gilles David, Danièle Lebrun ou Véronique Vella (il faudrait tous les citer). D'où vient alors cette étrange impression et cette interrogation sur la disparition de Labiche ?

Jean-Pierre Han