Imparables preuves par l'absurde

Jean-Pierre Han

4 octobre 2012

in Critiques

Bienvenue dans l'espèce humaine, conception et mise en scène de Benoît Lambert. Théâtre Paris-Villette. Jusqu'au 13 octobre. A 19 h 30 les lundi, mercredi, samedi, à 21 h les mardi et jeudi. Tél. : 01 40 03 72 23.

À voir le spectacle de Benoît Lambert, Bienvenue dans l'espèce humaine, une vraie fausse conférence théâtralisée, on comprend aisément que les « assis », pour reprendre le terme d'Arthur Rimbaud, n'aient guère en odeur de sainteté, ni le trop intelligent Benoît Lambert, ni le Théâtre Paris-Villette qui le programme, et qui l'a accueilli plusieurs fois dans le passé, avec une indéfectible fidélité, comme il a suivi et soutenu d'authentiques artistes dont la liste serait trop longue à énumérer ici. Comment un tel théâtre, qui a toujours poursuivi une véritable politique artistique, loin des paillettes et de l'esbroufe au goût du jour, peut-il être aujourd'hui brutalement réduit au silence ? D'une certaine manière le spectacle de Benoît Lambert répond avec une subtile et douloureuse ironie à cette interrogation. Bienvenue dans l'espèce humaine ; et oui, bienvenue dans notre petit monde capitaliste, car c'est bien de cela dont il est question ici. De la généalogie de notre espèce humaine, des origines à nos jours, rien que cela, de nos lointains ancêtres, singes ou belettes (!), aux homme très sérieux (toujours les « assis ») que nous sommes devenus, heureux et fiers d'avoir inventé cette chose inimaginable si propice à notre bonheur, le capitalisme. Tout cela pour soi-disant combattre notre agressivité naturelle ! Le bonheur, justement, Benoît Lambert et son Théâtre de la Tentative (admirez l'appellation) le traque de spectacle en spectacle, pour notre plus grand plaisir. Cela avait débuté avec Pour ou contre un monde meilleur, s'était poursuivi avec Le bonheur d'être rouge, puis plus récemment avec We are la France suivi de We are l'Europe. Entre-temps ils avaient affirmé que Ça ira quand même, avant de finir sur un certain Que faire ?, fameuse interrogation jadis formulée par Lénine. Le moins que l'on puisse dire est que Benoît Lambert a de la suite dans les idées, les circonstances le veulent pour qui n'a pas vraiment envie de mourir complètement idiot ou décervelé. Question cervelle d'ailleurs notre metteur en scène rameute à chaque fois ce qui se fait de mieux en la matière, se sert allègrement dans les œuvres du passé, travaille de conserve avec les vivants comme Jean-Charles Masséra, fait son miel de l'ensemble et nous livre de joyeuses et très percutantes réflexions et autres propositions pour tenter de mieux vivre le monde dans lequel nous vivons. Bienvenue dans l'espèce humaine n'échappe pas à cette règle. Le « raisonnement » de l'ensemble est cousu de main de maître ; il est à la fois hilarant et… terrifiant. Tant de douce perversité émise par les deux très souriantes conférencières, Anne Cuisenier et Géraldine Pochon, de part et d'autre de l'inévitable écran de télévision qui remplace désormais le tableau noir (ou blanc) pour les démonstrations graphiques, ne peut que nous « ravir ». Le procédé s'il n'est pas nouveau (on songe aux premiers essais d'un Thierry Bedard) est porté ici à son point d'incandescence. De spectacle en spectacle Benoît Lambert enfonce le même clou. Sa dialectique que sa science du plateau met parfaitement en lumière est désormais imparable. On ne peut que s'en réjouir. Comme on se réjouira de sa toute récente nomination à la tête du Centre dramatique national de Dijon.

Jean-Pierre Han