Une analyse spectrale de la Colombie

Jean-Pierre Han

19 juillet 2012

in Critiques

Los Santos Inocentes par Heidi et Rolf Abderhalden. Festival d'Avignon. Auditorium du Grand Avignon-Le Pontet.

Spectacle colombien qui fouaille la réalité colombienne la plus profonde, Los Santos Inocentes est l'œuvre d'un frère et d'une sœur, Rolf et Heidi Abderhalden, qui sont aussi suisses de par leur origine paternelle, et quasiment français par leur formation : ils sont notamment passés par l'école Jacques Lecoq, et c'est à Paris qu'ils ont créé le Mapa Teatro en 1984. Il y a incontestablement chez eux une propension et une volonté à transcender toutes les frontières qu'elles soient géographiques ou artistiques ! Ensemble ils ont beaucoup tourné de par le monde, de Berlin à Vienne, en passant par Séoul ou Prague ou Bahia. Espaces et temps non pas abolis, bien au contraire, mais revisités sans exclusive. Nous les découvrons donc avec Los Santos Inocentes (Les Saints Innocents) qui ne sont que le premier volet d'une trilogie au titre en forme de programme : Anatomie de la violence en Colombie que l'on attend donc avec impatience (l'intégrale est prévue pour 2013). Non pas que Los Santos Inocentes soient une parfaite réussite, loin de là, mais outre qu'ils ont été présentés au Festival après une série de spectacles sans grand intérêt (La Nuit tombe) ou franchement ratés (W/GB84, La Faculté), les chemins que ces Saints Innocents nous proposent d'arpenter sont passionnants. Le Mapa Teatro s'en est allé dans la petite communauté de Guapi perdue dans le sud-ouest du pays entre Océan Pacifique et massifs montagneux, entre jungle et fleuve. Impossible de s'y rendre par voir terrestre, il faut prendre plusieurs petits avions pour atteindre la ville d'à peine 30 000 habitants où l'on célèbre chaque année, le 28 décembre, le massacre ordonné jadis par le roi Hérode. Des hommes déguisés en femmes, armés de fouets aux longues lanières de cuir, parcourent la ville et frappent avec une violence inouïe tous ceux qui se trouvent sur leur chemin. À la question qui leur est posée de savoir pourquoi ils frappent si fort leurs coreligionnaires, l'un des protagonistes répond : « parce qu'ils sont innocents »… Heidi s'est rendue à Guapi où elle a filmé la cérémonie. Comme le 28 décembre est aussi la date de son anniversaire, elle décide de fêter l'événement sur le plateau et mêle cette fête avec le film qu'elle a réalisé sur les Saints Innocents. La double proposition est alléchante dans son intelligence. Malheureusement l'articulation ne fonctionne pas toujours très bien, faute sans doute à l'exiguïté de l'espace dans lequel elle doit se développer. Quelque chose manque. On le regrette d'autant plus que par moments des éclairs de violence transfigurent la scène dans un mouvement de dénonciation des exactions commises sur place aussi bien par les militaires que par les FARC ou encore par le personnage d' Hebert Veloza, commandant d’unité paramilitaire, assassin de plus de 3 000 personnes selon sa propre et très méticuleuse comptabilité… Ce que prétend mettre au jour le spectacle reste à l'état embryonnaire. Peut-être faut-il attendre les deux autres volets du triptyque…

Jean-Pierre Han