Le temps (et le théâtre) retrouvé

Jean-Pierre Han

11 juillet 2012

in Critiques

La Négation du temps de William Kentridge. Festival d'Avignon, Opéra-Théâtre, jusqu'au 13 juillet. Tél. : 04 90 14 14 14. Da Capo, installation de William Kentridge. Chapelle du Miracle, jusqu'au 28 juillet. Entrée libre.

C'est un immense et très jouissif paradoxe qu'offre le dernier spectacle de William Kentridge. Faisant appel à la musique, au chant, à la danse, à la vidéo, aux images animées, à toute une machinerie…, se développant à partir d'une installation que l'on peut utilement voir à la Chapelle du Miracle, le tout dans un décor et des costumes qui rappellent furieusement les plus belles pages dadaïstes, La Négation du temps se révèle être d'une étonnante théâtralité. Une théâtralité mise en branle par le maître de cérémonie, William Kentridge en personne déroulant le fil dramaturgique du spectacle, mais par intermittence seulement : le spectacle est construit par séquences entrecoupées de réflexions qui se donnent les apparences d'un discours scientifique (des conversations de Kentridge avec le physicien américain Peter Galison sont à l'origine du spectacle). Pourtant le véritable point de départ de la réflexion de l'artiste sur le temps réside dans un de ses souvenirs d'enfance ; à l'âge de 8 ans, son père lui raconte le mythe de Persée qui lui révèle la force du destin et l'interroge déjà sur l'inexorable déroulement du temps… D'un souvenir intime à des considérations scientifiques, Kentridge brasse tout cela avec bonheur : comme quoi la science peut avancer grâce à la magie de l'art. Car enfin, c'est une réalité, ce que nous présentent Kentridge et ses compagnons sur le plateau ressemble à un immense bric-à-brac, aussi peu sérieux si l'on s'en tient aux apparences, que l'étaient les expériences dadaïstes et même surréalistes. Et pourtant… Il est bien question de la matière temporelle dans ce spectacle. À tous les niveaux. Dans le discours de William Kentridge, mais aussi et surtout dans ce qu'il nous donne à voir et à entendre. Images et sons nous renvoient à cette cuisine du temps, dans une mise en abîme étonnante et surtout très brillante. Bric-à-brac de talent avec orchestre (musique et co-orchestration de Philip Miller) sur scène, machines dans les cintres donnant le la et mettant en branle un dialogue avec les autres machines sur scènes, et surtout cette matière vivante, corps et voix avec la danseuse Dada Masilo et les sopranos et mezzo-sopranos Joanna Dudley, Ann Masina et Donatienne Michel-Dansac… Et le temps s'écoule, revient sur lui-même ; tout se passe comme si, à l'instar des photographes, Kentridge tentait de capturer le temps, tout en le laissant s'écouler. C'est toute la magie théâtrale, sa beauté et son essence même qui sont ainsi de très brillante manière mise au jour, fouaillées et finalement retournées comme un gant.

Jean-Pierre Han