La quintessence de l'art théâtral de Peter Brook

Jean-Pierre Han

20 avril 2012

in Critiques

The Suit d'après Can Themba, Mothobi Mutloatse et Barney Simon, adapté, mis en scène et en musique par Peter Brook, Marie-Hélène Estienne et Franck Krawczyk. Théâtre des Bouffes du Nord à 21 heures jusqu'au 5 mai. Puis tournée en Espagne, au Royaume-Uni, en Italie et au Luxembourg. Tél. : 01 46 07 34 50.

Même s'il n'en est officiellement plus le directeur, Peter Brook est chez lui au théâtre des Bouffes du Nord. Il y avait naguère, en 1999, présenté Le Costume d'après une nouvelle de l'écrivain sud-africain Can Themba parue en 1950. Comme toujours l'art de Peter Brook, mélange de simplicité, d'intelligence et de subtilité fit merveille : le spectacle connut un immense succès au point d'être présenté des années durant dans le monde entier. Aujourd'hui Peter Brook revient dans ce qui fut son théâtre (et qui portera sa marque à jamais) avec The Suit, titre original anglais de la nouvelle de Can Themba, agrémentée d'apports de Mothobi Mutloatse et de Barney Simon. Il revient avec Marie-Hélène Estienne et le musicien Franck Krawczyk et avec une nouvelle distribution toujours réduite à quatre éléments pour interpréter une multitude de personnages, en dehors du couple autour duquel gravite la fable. The Suit parce que le spectacle est donné cette fois-ci dans sa langue originale. Et qu'à jouer sur les mots on pourrait affirmer qu'il s'agit en quelque sorte d'une « suite » (et non pas une reprise) du Costume français d'autrefois. Une suite où trois musiciens, Arthur Astier (à la guitare), Raphaël Chambouvet (au piano) et David Dupuis (à la trompette), ont été conviés pour accompagner leurs camarades de plateau, souligner musicalement certains traits de l'histoire, voire la commenter, et même se transformer en simples et très cocasses figurants. C'est une suite étonnamment enrichie, mais qui, bien entendu, joue sur les mêmes ressorts esthétiques que dans le premier spectacle : scène savamment dénudée avec seulement quelques accessoires, des chaises qui disposées d'une certaine manière feront office de lit, d'évier et d'autres meubles, des porte-manteaux montés sur roulettes délimitant des espaces de jeu, et comme toujours quelques tapis, le tout éclairé à la perfection (par Philippe Vialatte), soit « quatre planches et pas grand-chose » en somme (comme aurait dit Vitrac) pour que l'opération théâtrale puisse avoir lieu, pour que les interprètes puissent réciter leurs gammes. William Nadylam, Jared Mc Neill et Nonhlanda Kheswa, conteuse et superbe chanteuse sont tout simplement étonnants d'aisance et de grâce, jouent, miment cette histoire de vengeance très élaborée d'un mari trompé par sa femme, le tout sur arrière-fond de l'apartheid de l'époque en Afrique du Sud. On retrouve dans The Suit la quintessence de l'art théâtral de Peter Brook.

Jean-Pierre Han