Un moment de grâce pure

Jean-Pierre Han

7 avril 2012

in Critiques

Ici, par Jérôme Thomas, Markus Schmid et Pierre Bastien. Le Monfort. Jusqu'au 14 avril, à 20 h 30. Tél. : 01 56 08 33 88.

Voilà un fort long temps – depuis toujours pour ainsi dire – que Jérôme Thomas flirte avec l'ange du bizarre. Dans l'art de la jonglerie qu'il a exercé sous toutes ses formes, le renouvelant par la même occasion, au cirque, avec passage en revue de toutes ses disciplines comme dans son Cirque Lili. Le voici aujourd'hui, impénitent chercheur et en compagnie de deux autres olibrius tout aussi acharnés à défier les lois de la logique, Markus Schmid, mime, pour le dire vite, et Pierre Bastien, musicien pour le dire tout aussi vite et de manière fort insatisfaisante, amené à nous faire partager pour notre plus grand bonheur, un moment exceptionnel. Car Ici, c'est le titre de leur spectacle, relève effectivement de l'exceptionnel tant au plan de sa conception qu'à celui de sa réalisation. Une intervention auprès des détenus de la Maison d'arrêt de Fleury-Mérogis a donné l'idée à Jérôme Thomas de travailler sur la notion d'enfermement. De l'enfermement comme métaphore de notre condition humaine… De l'idée à la réalisation, tout l'art des trois artistes – sollicitant tout leurs savoirs (leur palette est on ne peut plus vaste) en matière d'art, explorant le théâtre musical, celui du geste, ceux d'ombres et d'objets, jouant de toutes les gammes du cirque, de la clownerie à la jonglerie – se déploie pour nous offrir une vision tout à la fois terrifiante et burlesque du monde dans lequel nous sommes enfermés, ici et maintenant. Une grâce infinie se dégage paradoxalement de cet ensemble apparemment hétéroclite, une grâce qui est de l'ordre de la poésie pure. Trois séquences, trois mouvements musicaux composent cette sorte de symphonie dédiée à la… gloire de notre pauvre humaine condition. On songe à Beckett alors bien sûr, comme on songera un peu plus tard au Chaplin des Temps modernes ; des références qui sont autant d'hommages, le spectacle en recèle quelques-uns. Mais ce qui frappe, c'est tout à la fois la beauté de l'ensemble, l'intelligence du propos, la virtuosité des deux protagonistes sur le plateau, Jérôme Thomas et Markus Schmid, manipulant, jonglant avec des feuilles de papier sur lesquelles pourraient s'écrire notre histoire, des panneaux ou avec de la matière plastique translucide (on songe à ce qu'avait déjà réalisé Jérôme Thomas dans Le Malheur de Job de Jean Lambert-wild), tout cela dans une scénographie savamment éclairée par Bernard Revel, et bien sûr dans un environnement sonore et musical à la rythmique affirmée signé Pierre Bastien et Ivan Roussel. C'est réellement pensé (enfin !) et plein d'inventivité. On ne peut qu'être saisi par cette vision qui est celle d'authentiques poètes comme les scènes d'aujourd'hui en manquent si cruellement.

Jean-Pierre Han