Françon entre continuité et renouvellement

Jean-Pierre Han

23 mars 2012

in Critiques

'' Oncle Vania'' de Tchekhov. Mise en scène d'Alain Françon. Théâtre des Amandiers de Nanterre. Jusqu'au 14 avril à 20 h 30. Tél. : 01 46 14 70 00.

De Tchekhov, Alain Françon a pratiquement monté toutes les grandes pièces quitte même, comme avec la Cerisaie, à s'y reprendre à plusieurs reprises. Toujours avec bonheur. Pour peu que, spectateurs, vous l'ayez accompagné, qu'attendre de sa part d'une nouvelle mise en scène de l'auteur russe ? Qu'attendre d' Oncle Vania qui se donne au Théâtre des Amandiers de Nanterre ? En attend-on d'ailleurs quelque chose de spécialement nouveau ou espérons-nous simplement retrouver un véritable plaisir de spectateur ? Car enfin, si chaque pièce de Tchekhov possède sa propre originalité, il n'en reste pas moins que toutes développent peu ou prou les mêmes thématiques, les mêmes motifs, présentent les mêmes personnages à quelques variantes près : écrivains, intellectuels, artistes, médecins, oisifs, pique-assiettes, nounous, domestiques… une humanité entière saisie dans une univers qui vit ses dernières heures avant de connaître une profonde mutation. Nous sommes, comme les personnages, pris entre la nostalgie du vieux monde, le refus d'envisager le nouveau tout en ne cessant d'y penser… Avec l'effroyable sentiment d'avoir gâché sa vie, avec le temps qui passe. Irrémédiablement. « Parler et lire, nous n'arrêtons pas depuis cinquante ans. Il serait temps d'en finir » constate le protagoniste principal de la pièce. Les personnages n'en finissent justement jamais. Les pièces de Tchekhov, et Oncle Vania ne fait pas exception, sont des pièces sur le temps, ce temps que l'on ne parvient pas à saisir, que l'on perd ; on a beau vouloir y mettre un terme, c'est toujours le retour au même qui intervient. Dans Oncle Vania, Ivan Petrovitch Voïtnitzki, l' « oncle », et sa nièce, Sonia, se remettront à travailler, « pour les autres », comme si rien ne s'était passé. Des subtils enchevêtrements des petites affaires de la vie sont mis au jour sur le plateau ; il n'est après tout question que de simples « scènes de la vie de campagne » comme le précise le sous-titre de la pièce. Extrême « modestie » de l'auteur à laquelle répond le travail tout en finesse d'Alain Françon, plus que jamais à son aise dans l'agencement des tableaux, des motifs, dans la manière de faire vivre tous les personnages dans une parfaite homogénéité, savante choralité dont il a le secret ; sa direction d'acteurs parvient à mêler la fermeté à la souplesse. Aux acteurs d'en tirer le meilleur bénéfice. Ce que ne manque pas de faire le duo formé par Gilles Privat (Oncle Vania) et Éric Caruso, le médecin écolo (Astrov) autour duquel évolue une distribution comme à chaque fois proche de la perfection avec, par exemple, André Marcon ou encore Barbara Tobola (Sonia), Catherine Ferran ou Laurence Montandon. L'admirable langue de Tchekhov, retranscrite par Françoise Morvan et André Markowicz qui lui restituent rythme et nerf, les transcende véritablement. Et que dire de ce sublime deuxième acte nocturne (les éclairages sont bien évidemment signés Joël Hourbeigt, un collaborateur de longue date d'Alain Françon, tout comme le scénographe Jacques Gabel), qui donne pour ainsi dire la tonalité générale de la pièce ?…

C'est bien là la réussite d'Alain Françon : être dans l'absolue continuité de son travail sur l'auteur russe tout en en renouvelant à chaque fois la vision. Ce qui est tout simplement le propre de l'art théâtral.

Jean-Pierre Han