Ambiguïté affirmée

Jean-Pierre Han

29 février 2012

in Critiques

Pierre ou les ambiguïtés d'après Herman Melville. Mise en scène d'Olivier Coulon-Jablonka. Du 29 février au 2 mars au Théâtre La Vignette-Université Paul Valéry à Montpellier. Du 27 au 19 mars au Nouveau Théâtre-CDN de besançon et de Franche-Comté. moukdentheatre@gmail.com

Composé de comédiens pour la plupart issus du CNSAD, le collectif (un de plus !) Moukden-Théâtre entend être en prise avec le monde dans lequel il évolue, et assumer son regard personnel sur lui. « C'est un théâtre du présent, un théâtre d'actualité, un théâtre politique », dit-il. On ne peut que s'en réjouir même si ce type de déclaration d'intention ne saurait préjuger en rien, ni de ses réalisations, ni de ses véritables engagements. Un peu plus précise et intéressante est la suite de la proclamation avec « l'idée, et la croyance, que le théâtre est ce lieu où peut encore s'élaborer une pensée . C'est donc un théâtre joyeux qui ne renonce pas à énoncer un discours sur le monde ». Pourtant ce qui frappe d'emblée au vu de ses deux dernières réalisations, Chez les nôtres et Pierre ou les ambiguïtés, c'est avant tout un plaisir du jeu inouï qui confère aux spectacles qu'il présente une vigueur réjouissante. Voilà peut-être pour le « théâtre joyeux »… Dans Pierre ou les ambiguïtés d'après Herman Melville, cela saute aux yeux, et une gamme complète de différents registres de jeu nous est ainsi proposée par l'équipe en place sur le plateau. Une gamme complète bien évidemment mise au service d'un discours dont le trait s'affermit de spectacle en spectacle. Il apparaît en effet à l'évidence que cette dernière réalisation du Moukden-Théâtre dirigée par Olivier Coulon-Jablonka (lui-même excellent acteur par ailleurs, mais qui ne joue toutefois pas cette fois-ci) creuse le même sillon, approfondit la réflexion menée dans Chez les nôtres. On retrouvera donc cette même volonté d'articuler la représentation autour d'un axe textuel majeur, La Mère d'après Gorki pour Chez les nôtres, Pierre ou les ambiguïtés d'après Herman Melville pour le dernier opus, tout en le soumettant à ce que j'appellerai des regards obliques qui le travaillent au corps. L'escroc à la confiance du même Herman Melville vient ainsi mettre en écho, l'approfondir ou le retourner comme un gant, le premier texte de l'auteur américain. La première des « ambiguïtés », pour reprendre l'annonce du titre de l'ouvrage d'Herman Melville, est peut-être simplement celle du jeu théâtral lui-même si l'on veut bien considérer que l'histoire repose au départ sur l'ambiguïté de l'identité d'un des personnages, Isabelle. Est-elle la sœur ou non de Pierre ? Y a-t-il inceste ou pas, etc. ? Questions fondamentales car des réponses (que l'on ne connaîtra jamais) dépend la validité de l'organisation même du monde et de la société. Du plan de la morale à celui de la politique, comme dans un jeu de cartes que l'on retourne une à une découvrant ainsi la figure représentée. L'intérêt du questionnement ici, c'est qu'elle épouse étroitement, je le répète, la question théâtrale. Théâtre dans le théâtre dans son éternelle mise en abîme, commentaire du commentaire que ne cesse de proposer le Moukden-Théâtre, le jeu a de quoi fasciner. Il fascinerait d'ailleurs davantage si le trait n'était aussi affirmé, car c'est le paradoxe de ce spectacle que de proposer une réflexion sur la thématique de l'ambiguïté, c'est-à-dire finalement du trouble, de manière aussi assurée. Reste qu'à l'intérieur de ce registre, dans la scénographie bien dessinée, elle aussi, de Constance Arizzoli, les huit comédiens, de Julie Boris à Camille Plagnet, en passant par Johann Chauveau ou encore Malvina Plegat (Isabelle, la fauteuse de trouble) s'en donnent à cœur-joie et font montre d'un beau savoir-faire sous la direction d'Olivier Coulon-Jablonka.

Jean-Pierre Han