Pippo Delbono : la lutte continue

Jean-Pierre Han

29 janvier 2012

in Critiques

Après la bataille de Pippo Delbono. En tournée à Caen (CDN) les 21, 22, 23 mars, Toulouse (CDN) du 28 au 31 mars et Valence (CDN) le 3 avril, après son passage au Théâtre du Rond-Point à Paris.

Après la bataille nous prévient d'emblée Pippo Delbono dans son dernier opus. Après la bataille… vraiment ? L'homme de théâtre italien, l'un de ceux – ils sont rares sur la planète théâtrale – qui pratique son art à la première personne du singulier à visage découvert et en payant de sa personne, aurait-il baissé pavillon ? Comment lui, le saltimbanque, héritier de la commedia dell'arte, de Fellini et de Dario Fo, après avoir dénoncé le Temps des assassins, la Guerra, la Rabbia (la guerre), la Menzogna (le Mensonge) encore récemment, aurait-il pu faire ainsi allégeance à ce monde d' « assis », pour reprendre un autre terme de Rimbaud ? Alors même qu'il y a encore peu, dans son livre Mon théâtre (Actes Sud), il parlait de « Gagner la bataille, vaincre l'impossible »… Et bien, que l'on se rassure, voici Pippo Delbono, tel qu'en lui-même, toujours accompagné de ses semblables, ses fidèles compagnons d'aventure de misère et de gloire, marginaux que la société bien-pensante abhorrait au point d'en enfermer certains comme le désormais fameux Bobo ; l'énergie et la rage sont toujours là face à la barbarie et au désastre du monde et les voici plus combatifs que jamais, mais avec une lucidité accrue qui rend leur regard plus sombre. Sans doute y a-t-il « après la bataille » un temps de latence, pas vraiment de répit, où l'on compte les victimes et où l'on erre au milieu des ruines. La vision que nous offre Pippo Delbono dans ce spectacle est d'une tonalité presque noire (elle s'était déjà assombrie dans la Menzogna), l'espace nu de la scène est entouré de murs qui évoquent la prison ou l'asile (c'était et c'est encore souvent tout un). Quelques petites portes s'ouvrent sur le néant… L'humanité dans tout cela ? Elle est bien du côté de Pippo et de ses acolytes rencontrés au fil de ses voyages, alors que lui aussi, tout aussi mal dans sa peu, se cherchait. C'est bien cet élément humain qui transparaît dans tous ses spectacles, et particulièrement dans cet Après la bataille dont il ne faudra pas s'étonner qu'il est expressément dédié à deux personnalités, Pina Bausch d'abord que Pippo Delbono avec Pepe Robledo avec lequel il a fondé la compagnie en 1986, a côtoyé et travaillé, et surtout à Bobo, cet homme de 74 ans, microcéphale et sourd-muet, l'extraordinaire Bobo qui, une fois de plus, comme toujours ou presque, est présent sur scène, et de quelle manière, bloc compact de poésie, Bobo qui n'était jamais sorti de l'institution où il était enfermé depuis cinquante ans et que Pippo a « libéré »... Le spectacle annoncé, commenté, porté, dansé par Pippo Delbono qui dialogue avec sa mère, cite et lit Pasolini, Artaud, la poétesse Alda Merini, disparue il y a deux ans, qui affirmait que « les déments, je les ai rencontrés quand je suis sortie », semble être fait de bric et de broc. C'est en réalité, et comme toujours, un joyeux et parfois très drôle chaos de séquences entre parades toujours d'une beauté époustouflante, saynètes, revue populaire, morceaux de danse, au son d'une musique assourdissante et d'interventions plus discrètes du violoniste roumain Alexander Balanescu. Une véritable fête pour les yeux et l'esprit, et un non moins véritable travail d'art quoi qu'en disent les esprits chagrins. Pour dire encore et toujours la folie du monde. Notre folie.

Jean-Pierre Han