L'espoir, malgré tout…

Jean-Pierre Han

13 janvier 2012

in Critiques

Un soir, une ville… de Daniel Keene. Mise en scène de Didier Bezace. Théâtre de la Commune d'Aubervilliers. Jusqu'au 29 janvier. Tél. 01 48 33 16 16.

Ciseleur des sentiments humains à la précision chirurgicale, Didier Bezace n'a pas son pareil pour retourner les textes – de théâtre ou non d'ailleurs – comme des gants, et mettre au jour leurs coutures les plus secrètes. Pour avoir déjà opéré de la sorte, avec réussite, sur Avis aux intéressés de l'australien Daniel Keene, il est particulièrement à son affaire avec trois courtes pièces du même auteur réunies sous le beau et très juste titre d'Un soir, une ville… Cela se sent, cela se voit, jusque dans les moindres détails, car tout dans ce spectacle se joue effectivement sur d'infimes détails, ceux dits et non dits par pudeur, par maladresse ou par impuissance de ce que Nathalie Sarraute avait jadis qualifié de tropismes. Tout cela – ces trois séquences – se passe un soir dans l'anonymat d'une ville ; le spectacle commence par le film en noir et blanc d'un flot de voitures roulant à l'infini. Infernal et dérisoire défilé qui reviendra clore le spectacle, après que trois points de vue, trois visions, de la cité nocturne nous aient été habilement donnés par le scénographe Jean Haas avec la complicité de l'éclairagiste Dominique Fortin. Trois points de vue apparemment réalistes (un quai, un réverbère,…), mais qui, à y regarder de plus près, ressemble davantage à une vision mentale où les choses sont décalées, voire d'une logique bouleversée. Trois cadres grisâtres à la fois si semblables et si différents, un seul no man's land dans lequel vont se dérouler mezzo voce, mezzo tempo, les trois séquences mettant en scène trois couples, père-enfant, homme-homme, mère-fille et leur extrême difficulté à simplement pouvoir dire leur attachement mutuels. Six blocs de solitude dont le spectateur guette attentivement les efforts des uns et des autres pour que des fissures, infimes lézardes pas si dérisoires que cela, puissent apparaître, par où un souffle de vie pourrait enfin s'immiscer. C'est simplement poignant. À ce jeu le petit Simon Gérin, qui joue en alternance avec Maxime Chevalier-Martonot, est étonnant de justesse et de fraîcheur dans le premier texte, Fleuve, face à son père, Patrick Catalifo, qui surjoue un peu, si l'on ose dire, dans le non-jeu, alors que dans la dernière séquence, Quelque part au milieu de la nuit, Sylvie Debrun, en vieille femme atteinte d'Alzheimer, et face à sa fille, Geneviève Mnich, est bouleversante. Daniel Delabesse et Thierry Levaret dans Un verre au crépuscule, quant à eux, jouent avec une pudeur extrême une partition particulièrement délicate. La langue de Daniel Keene, volontairement et apparemment plate, excellemment rendue par la traduction française de Séverine Magois, s'y prête à merveille. La programmation de la saison du théâtre de la Commune d'Aubervilliers est placée sous l'égide des « Promesses ». Il faut donc considérer qu'Un soir, une ville..., par-delà la noirceur de son propos initial, ouvre malgré tout des perspectives vers un avenir plus humain. D'amour et de fraternité ?

Jean-Pierre Han