"Cendrillon" au goût du jour

Jean-Pierre Han

22 décembre 2011

in Critiques

Cendrillon par Joël Pommerat. Théâtre de l'Odéon (salle Berthier) jusqu'au 25 décembre, puis grande tournée en Belgique et en France. Tél. : 01 44 85 40 73.

Joël Pommerat, auteur-metteur en scène qui a le vent en poupe à l'heure actuelle – pas moins de cinq de ses spectacles, sans compter Cendrillon, sont en tournée dans tout l'Hexagone, et un sixième, La Grande et fabuleuse histoire du commerce, doit être créé en janvier prochain à Béthune –, Joël Pommerat n'a pas franchement attendu les fêtes de fin d'année pour proposer aussi bien aux petits qu'aux grands, un nouveau conte, celui des frères Grimm, Cendrillon. Un conte ou plutôt un mythe revu et corrigé, mais pas franchement aseptisé, édulcoré à la manière de Walt Disney ou même de Perrault. Bien au contraire. Le conte des Grimm, on le sait, était loin d'être une tendre bluette ; le texte de Pommerat sans être aussi sanglant, ne fait pas non plus dans la mièvrerie. En cela il est dans la pure lignée de ses autres textes dans lesquels il ne cesse de jouer sur le registre de la fable dans une série de séquences toutes toujours esthétiquement tirées au cordeau. Ici la scène est un vaste espace vide encadré par trois murs blancs que les lumières ou des projections (jamais réalistes) vont habiller. Cet espace savamment évidé, et comme toujours signé Eric Soyer, scénographe et créateur des lumières, permet à l'imagination du spectateur de prendre son envol. C'est lui, tout autant qu'Éric Soyer, qui fera défiler les images que lui inspire le texte de Pommerat, à travers le jeu des acteurs, sur ces sortes d'écrans blancs. Le son, lui aussi, est distillé avec une méticuleuse précision ; si liberté est laissée au spectateur de donner libre cours à son imagination, ce n'est qu'après que Joël Pommerat lui ait tracé et balisé le chemin… Ce n'est pas le moindre des paradoxes de ses réalisations, et Cendrillon n'échappe pas à cette règle, qui commence par une véritable réflexion sur la mort : la séquence de l'agonie de la mère de Cendrillon donnée dans une semi-obscurité en fond de scène est une pure merveille, alors qu'une voix off comme venue de très loin nous raconte l'histoire. Ne reste à Pommerat qu'à dévider le fil de son récit, jusqu'à ce que l'on retrouve une autre histoire de mort, celle de la mère du prince, histoire qui viendra bien sûr inéluctablement se nouer avec celle de Cendrillon. Les acteurs jouent en équipe dans un registre qui tourne délibérément le dos à toute grandiloquence, a minima pour ainsi dire, car c'est la fable qui importe avant tout plus que son illustration spectaculaire. On est saisi, happé par une sorte de mécanique impitoyable qui laisse pantois et… heureux. Quant à savoir si le spectacle, avec ses thématiques graves, est vraiment destiné pour le jeune public, la question ne se pose pas : tous petits et grands sommes devant une œuvre forte qui ne peut que nous interpeller tout en nous réjouissant. On regrettera simplement qu'à certains moments Joël Pommerat se soit cru obligé d'adopter un langage de « jeunes » d'aujourd'hui avec ce que cela entraîne de vulgarité.

Jean-Pierre Han