Champ de bataille

Jean-Pierre Han

15 décembre 2011

in Critiques

La Noce de Bertolt Brecht. Mise en scène d'Isabel Osthues. Théâtre du Vieux-Colombier. Jusqu'au 1er janvier 2012. Tél. : 01 44 39 87 18.

En optant délibérément pour le premier titre de la pièce de jeunesse de Brecht, La Noce devenue la très connue, et désormais souvent représentée, Noce chez les petits-bourgeois, la réalisatrice allemande Isabel Osthues qui travailla un long temps auprès de Christoph Marthaler, ce qui est une véritable référence, annonce d'emblée la couleur ; revenir au geste initial de Brecht. En d'autres termes, revenir à l'écriture décapante de l'auteur, à sa radicalité clownesque. En 1919, date de composition de la pièce en un acte, Brecht qui n'a que 21 ans, sort tout juste de l'atmosphère particulière des cabarets dont le maître à penser et à jouer est alors Karl Valentin, comédien bavarois auteur de sketches à faire grincer les dents et à mourir de rire dont un certain Mariage de Karl Valentin. Brecht n'hésite pas et reprend sans vergogne, comme il le fera tout au long de sa carrière d'auteur dramatique, la structure, sinon la trame de la pièce d'une efficace simplicité. Et voici sur le plateau tout de bois habillé un échantillon de la petite bourgeoisie, car s'ils sont bien les personnages centraux de la pièce, les mariés sont entourés de membres de la famille bien sûr – père de l'une, mère de l'autre, sœur de la première, vieille fille en quête acharnée d'un homme… –, mais aussi de quelques amis et connaissances représentatifs jusqu'à la caricature d'une micro société bien définie. Tout ce beau monde est donc enfermé comme dans le meilleur des huis clos dans le salon-salle à manger au mobilier entièrement réalisé, à la sueur de son front, par le marié. C'est tout ce beau monde qui va, autour de la table de banquet, se lancer force bons mots, vacheries, sous-entendus, histoires stupides, le tout entrecoupé de chansons grivoises, car bien sûr l'ami musicien chargé de maintenir l'ambiance a apporté sa guitare. Et Isabel Osthues n'a pas hésité à reprendre et intercaler des chansons de jeunesse de Brecht. La traduction de Magali Rigaill, choisie par Isabel Osthues, fait merveille : elle met les mots à nu, dans toute leur cruauté. Brecht, il est vrai, n'y va pas par quatre chemins : ce qui était de l'ordre du burlesque se transforme en jeu de massacre, au fur et à mesure que tous les meubles se déglinguent… C'est au milieu d'un véritable champ de bataille que les deux époux vont se retrouver seuls. Une telle pièce est l'occasion rêvée pour une équipe théâtrale de faire montre de son savoir-faire et de sa solidarité : les comédiens du Français tentent de s'y atteler, la palme revenant toutefois à l'heureux élu, le mari, interprété à la Charlot (il en a l'allure et la gestuelle) par Laurent Natrella.

Jean-Pierre Han