"Onzième", le nouvel opus de François Tanguy

Jean-Pierre Han

28 novembre 2011

in Critiques

Onzième de François Tanguy. À partir du 25 novembre au T2G-Théâtre de Gennevilliers (Festival d'automne) Tél. : 01 41 32 26 26.

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J'ignore les raisons pour lesquelles, à la vue du dernier spectacle de François Tanguy, et songeant à l'ensemble de son œuvre, me revenait comme une obsession ce vers de Gérard de Nerval : « La Treizième revient… C'est encore la première » (Artémis)… Est-ce parce que Onzième, c'est le titre de son dernier opus, qui fait référence au onzième des seize Quatuors à cordes de Beethoven, poursuit dans un mouvement de ritournelle l'exploration d'univers et de suites musicaux, de Choral à Ricercar, en passant par Orphéon, Les Cantates ou encore Coda (on ne saurait, de ce point de vue, être plus clair : le type de composition musicale est à chaque fois annoncé d'emblée, Orphéon est même accompagné d'un sous-titre : Bataille – suite lyrique) ? À cette différence près que cette fois-ci François Tanguy et son équipe du Théâtre du Radeau semblent vouloir reprendre dans un même élan tous les thèmes traités jusqu'au ressassement dans les spectacles précédents. Et ouvrir du même coup la boîte à musique pour en revenir à la clarté du jour, à ce qui a toujours constitué le fondement même du travail du metteur en scène, à savoir la matière textuelle saisie dans toute sa profondeur, dans toute son épaisseur. Ne nous étonnons pas dès lors de constater que – ô paradoxe – cette fois-ci la musique (de Purcell à Sibelius, de Schubert à Berio) est moins prégnante, et qu'en revanche les textes, essentiellement de Dostoievski (avec des scènes tirées des Démons et des Frères Karamazov) mais aussi de Kafka, de Witkiewicz, donné en ouverture, de Strindberg, de Dante ou d'Hörderlin, parviennent contrairement à ce qui se passait dans les autres spectacles, presque distinctement à nos oreilles, même s'ils continuent à être murmurés, voire grommelés. Du coup, le théâtre, celui qui serait comme un spectre du théâtre des temps anciens, resurgit avec une force nouvelle. C'est son histoire avec tous ses genres que Tanguy revisite avec une passion non dénuée d'humour, de grotesque et d'ironie. « C'est un théâtre qui parle du théâtre, avec les moyens du théâtre : ce n'est pas un théâtre de concepts ou de notions » dit très justement Jean-Paul Manganaro, fin connaisseur en la matière(*). Cadres, planches et plans divers, en bois, structurent et déstructurent comme toujours, mais avec encore plus de précision, l'espace qui soudain donne l'impression de se resserrer. L'aire de jeu ou ce qui en tient lieu est toujours hantée par les mêmes étranges individus aux costumes désormais reconnaissables entre tous, créatures tout droit sorties de l'imagination du metteur en scène et que l'on retrouve de spectacle en spectacle. Entre ombre et lumière, entre pleins et déliés. Ils sont cette fois-ci onze pour interpréter cette… Onzième, avec à leur tête (et par ordre alphabétique !) une admirable Laurence Chable qui imprime son tempo à l'ensemble de la représentation en jouant de tous les registres possibles et imaginables.

Et pourtant ce n'est pas que l'histoire du théâtre avec toutes ses formes que François Tanguy et le Radeau revisitent pour notre plus grand bonheur, l'Histoire et le bruit du monde sont bien eux aussi présents, mais pas plus qu'il n'est question de théâtre dans le théâtre, comme de coutume, il n'est question de théâtre politique, ou alors pas dans le sens où on l'entend ordinairement. Le théâtre de Tanguy fonctionne dans l'immédiateté de sa perception, et c'est sans doute la raison pour laquelle on est profondément touché ou parfaitement étranger à son déroulement. Mais pour peu que vous fassiez partie de la première catégorie de spectateurs, alors votre émerveillement et votre plaisir n'aurons plus de limite ; vous serez ému jusqu'au plus profond de votre être. Quelque chose de l'ordre d'un ébranlement se sera produit.

Jean-Pierre Han

Photo : © Théâtre du Radeau

(*) François Tanguy et le Radeau par Jean-Paul Manganaro, P.O.L. Éd., 2008, 124 pages.