"La Mouette" et son double ?

Jean-Pierre Han

14 octobre 2011

in Critiques

La Mouette d'après Tchekhov, adapté et mise en scène par Mikhaël Serre. Nouveau Théâtre de Montreuil. Jusqu'au 20 octobre. Tél. : 01 48 70 48 90.

Jeune homme au talent naissant mais déjà reconnu, Mikaël Serre fait partie du Collectif artistique de la Comédie de Reims que dirige Ludovic Lagarde où son spectacle a été créé en janvier dernier. Que l'on se méprenne pas, s'il s'attaque aujourd'hui à La Mouette de Tchekhov , ce n'est certainement pas pour faire œuvre muséale, pas plus d'ailleurs que pour nous donner une nouvelle lecture de cette pièce. De ce point de vue, le titre du spectacle est sans ambiguïté : il s'agit d'un travail « d'après » La Mouette qui a bel et bien été adapté par le metteur en scène qui n'en est pas à son coup d'essai pour ce qui concerne traductions et adaptations. De la pièce de Tchekhov ne restent que quelques éléments de la trame, des personnages qui conservent leur prénoms russes… et c'est à peu près tout. Arkadina (Cristèle Tual), l'actrice célèbre, Trigorine (Sam Louwyck), son amant, écrivain de renom, Nina (Servane Ducorps), la « mouette », et Konstantin Treplev (Pascal Rénéric) sont bien là, mais singulièrement transformés en personnages d'un autre temps, avec d'autres préoccupations, dans d'autres configurations. C'est que Mikaël Serre joue franc jeu : il entend faire œuvre contemporaine et parler du monde d'aujourd'hui. Rien là que de très légitime, le seul problème réside dans la résolution scénique de l'ensemble. Dans le vaste espace savamment dégagé, sinon déconstruit par Ludovic Lagarde et Antoine Vasseur, avec toiles peintes et tente ouverte aux quatre vents côté cour, on retrouve tous les signes qu'utilisent jusqu'à plus soif, et toujours de la même manière, toutes les jeunes équipes théâtrales d'aujourd'hui le plus souvent réunies en collectifs (vrais ou faux, peu importe). Cela en devient vite agaçant : les acteurs font preuve d'une belle énergie qui tient lieu d'état de tension, ils courent, crient, éructent, se lancent de douces amabilités du genre « enculé de ta mère », se heurtent, s'affrontent dans des corps à corps sans fin, se barbouillent le visage comme Pierrot le fou de Godard, etc. Au sens propre du terme, ils mouillent vraiment leurs chemises… Pourquoi pas ? Mais pour quel enjeu ? Car enfin c'est bien de cela dont il s'agit. Et c'est là où le bât blesse. Le discours distillé, voire asséné, par Mikaël Serre et son équipe n'est franchement pas d'un grand intérêt ni d'une grande originalité. Hélas ! Tant qu'à vouloir mettre au jour les problématiques du monde d'aujourd'hui autant mettre en scène des auteurs contemporains, comme Marius von Mayenburg ou Franz Xaver Kroetz que Mikaël Serre a déjà montés, ou carrément se lancer dans l'écriture d'une œuvre théâtrale personnelle.

Jean-Pierre Han