Une ronde infernale

Jean-Pierre Han

25 septembre 2011

in Critiques

Ombres portées d'Arlette Namiand. Théâtre de la Tempête., Cartoucherie de Vincennes. Jusqu'au 2 octobre, puis tournée. Tél. : 01 43 28 36 36.

C'est un bien étrange et fascinant spectacle que nous proposent Arlette Namiand, l'auteur, et Jean-Paul Wenzel, le metteur en scène, aux parcours étroitement liés : tout deux dirigent la compagnie théâtrale « Dorénavant », et Wenzel a maintes fois monté des pièces de Namiand qui, de son côté, a aussi adapté pour la scène nombre de romans pour la compagnie. Étrange et fascinant spectacle donc au beau titre d'Ombres portées qu'il faut prendre au pied de la lettre et qui éclaire son propos en lui gardant sa part de mystère. Des ombres il est effectivement question, projetées ou portées sur la scène du théâtre agencée en un long couloir – les spectateurs sont placés d'un côté et de l'autre de ce couloir s'ouvrant sur l'extérieur, la vraie vie : on aura compris qu'il s'agit là d'un lieu de passage, de notre passage sur cette terre. Il y a là quelque chose d'irréel, et pourtant le grondement du monde, celui de la guerre essentiellement, s'entend au loin. Des personnages, ou plutôt des corps, glissent le long du couloir avant de disparaître, accentuant encore l'irréalité des tableaux. Thierry Thiêu Niang les a, semble-t-il, chorégraphié dans cet esprit. Ils apparaissent ainsi dans cinq histoires, cinq séquences savamment entrelacées (d'autant plus que ce sont les mêmes comédiens qui les interprètent), presque toujours deux par deux, couples tout droit sortis d'un rêve ou d'un cauchemar. Couple de jeunes mariés, l'homme portant sa femme sur les épaules, fille portant son père à la recherche du lieu où il a combattu autrefois et où il a aimé une femme à la folie, soldat portant le corps sans vie de son ennemi qu'il vient de tuer, un autre homme encore portant le corps de son amante, etc. Ronde infernale, ou cérémonie macabre et ricanante, c'est à la fois drôle et tragique, une femme seule cette fois-ci, Anne Rebeschini, « la femme qui porte ses peurs » comme elle est qualifiée à la manière d'un Novarina, jouant pour ainsi dire le rôle de choreute, tout comme la chanteuse du groupe Olen'k, Elise Montastier-Costa. Il y a là quelque chose d'envoûtant, une parole acerbe tirée au cordeau sur notre humaine condition, sur nos peurs et nos angoisses, qui n'excluent toutefois pas une certaine tendresse de s'exprimer. La mise en scène de Jean-Paul Wenzel est à l'unisson de l'écriture d'Arlette Namiand. Et quand on aura dit que l'interprétation (Frédéric Baron, Arthur Igual, Yedwart Ingey, Jenny Mutela, Lou Wenzel, en plus d'Anne Rebeschini) sait jouer du contraste entre rigueur, souplesse et grâce, on aura compris que ce spectacle mérite le détour.

Jean-Pierre Han