Une leçon de vie

Jean-Pierre Han

3 septembre 2011

in Critiques

Pieds nus, traverser mon cœur de et par Michèle Guigon, avec Suzy Firth pour l'écriture. Mise en scène de Anne Artigau. Lucernaire à Paris, à 20 heures. Tél. : 01 42 22 26 50.

Cette leçon de vie – qui de leçon n'a que le nom tant elle est discrète, subtile, pudique – comment l'écrire, la dire, la jouer ? C'est bien la question que Michèle Guigon, pose d'emblée dans son spectacle, Pieds nus, traverser mon cœur, alors qu'à l'entrée dans la salle le spectateur la découvre de dos, assise à sa table de travail couverte de papiers, d'autres feuilles jonchant le sol et d'autres endroits de la scène. Comment dire l'indicible, cette chose si ténue qui appartient effectivement au domaine du cœur et de la vie ? Alors Michèle Guigon noircit des feuilles et des feuilles de papier pour trouver le secret, et, fort heureusement, elle parle, elle nous parle en faisant état de ses tentatives. Propos décousus, entrecoupés par des tâches de la vie quotidienne (remplir des factures, faire une machine à laver…). Propos décousus vraiment ? Michèle Guigon et ses complices, Suzy Firth pour l'écriture et Anne Artigau pour la mise en scène nous mènent en bateau ; en réalité les sentiments, les petites histoires sont tressés de manière extrêmement serrée et n'ont d'anarchique que l'apparence. Ils se développent autour d'une évocation centrale : celle du père de la comédienne traumatisé alors qu'il était enfant par l'arrestation de son propre père arrêté par la Gestapo sur dénonciation d'un voisin, et fusillé un peu plus tard. Intense moment d'émotion lorsque Michèle Guigon évoque les derniers mots écrits par son grand-père à ses proches. Une émotion qu'elle casse volontairement en relevant les fautes d'orthographe qu'elle a trouvé dans ces lettres…: tout Michèle Guigon est dans ce type de rupture. Qu'elle évoque encore la mort de son père alors qu'il n'avait qu'une quarantaine d'années, sa maladie ou encore mille et un petits « riens » de cette vie si belle. Entre rire et larmes, mais toujours mezzo voce, et avec une manière de se mouvoir très déliée. Pure élégance pour dire l'intime, ses blessures et ses joies. Un moment rare.

Jean-Pierre Han