Maldonne

Jean-Pierre Han

13 juillet 2011

in Critiques

« Maldito sea el hombre que se confia en el hombre » : un projet d'alphabétisation (« Maudit soit l'homme qui se confie en l'homme » : un projet d'alphabétisation,d'Angelica Liddell. Salle de Montfavet. Jusqu'au 13, à 12 heures et 17 heures. Tél. : 04 90 14 14 14.

Elle avait fait sensation l'an dernier au Festival avec deux spectacles : la France découvrait enfin (avec une bonne dizaine d'années de retard quand même) l'espagnole Angelica Liddell. Sa création de la présente édition était donc très attendue, d'autant que son titre, « Maldito sea el hombre que se confia en el hombre » : un projet d'alphabétisation (« Maudit soit l'homme qui se confie en l'homme » …) promettait tout un programme, une manière de traiter le problème (de l'homme dans le monde d'aujourd'hui) dans sa globalité, en déclinant tout simplement quelques lettres de l'alphabet. Les définitions auxquelles renvoient les lettres de l'alphabet qu'elle a choisies sont plutôt parlantes  – A, comme argent, D comme douleur, H comme haine, L comme loup, M comme méfiance, R comme rage… – et ne sauraient être plus claires. A partir de là ne reste plus à dérouler dans un décor de carton pâte à la Disney (normal, la thématique du festival est l'enfant, et Angelica Liddell entreprend d'alphabétiser les enfants selon sa méthode très particulière) le parcours de deux petites filles qui grandiront dans la deuxième partie du spectacle, mais qui resteront perdues au milieu de petits lapins, haine de la famille et de l'homme chevillée au corps, et qui continueront à illustrer les définitions des dernières lettres de l'alphabet, passant de W, Wittgenstein au U de l'utopie… Tout cela est bel et bon, et cousu de fil blanc, si l'on peut dire. Angelica Liddell hurle sa haine de l'humanité telle qu'elle s'épanouit aujourd'hui, crache sur le petit intellectuel bourgeois (on se demande simplement où elle-même se situe et à qui elle s'adresse), et se déclare définitivement « dissidente ».Tout cela est plutôt sommaire, mais pourquoi pas, si ce n'est que l'on découvre derrière cette attitude (c'en est une) guerrière, très paradoxalement, une sensibilité de midinette, et la nostalgie d'un monde à l'eau de rose. Et voir l'une des gamines finir par pleurer sur scène à l'évocation de la saloperie du monde est pour le moins pénible. Les larmes au bout du souffle. Ce théâtre de l'éructation ne trouve guère de résolution scénique très convaincante, même si le savoir-faire d'Angelica Liddell est incontestable. Le passage de la définition d'une lettre à l'autre autorise, bien sûr, un montage en séquences, le tout avec une bande-son (volontairement ?) épouvantable avec, notamment, le rappel de la chanson du film de Carlos Saura (pour probablement nous renvoyer au thème de l'enfance), Cria Cuervos, ou encore des musiques pour westerns-spaghetti d'Ennio Morricone. On aura compris qu'Angelica Liddell ne fait pas dans la dentelle : c'est très exactement ce que demande, et ce dont elle se repaît, cette fameuse société ultra libérale française ou pas (car le couplet à l'encontre de la France est lui aussi cousu de fil blanc) dans laquelle nous vivons.

Jean-Pierre Han