Avignon "in" : Un "Suicidé" mi figue, mi-raisin

Jean-Pierre Han

11 juillet 2011

in Critiques

Le Suicidé de Nicolaï Erdman. Mise en scène de Patrick Pineau. Carrière de Boulbon jusqu'au 15 juillet à 22 heures. Tél. : 04 90 14 14 14

Contrairement à ce que pourrait laisser croire son titre, Le Suicidé, c'est une pièce fort réjouissante qu'a écrit Nicolaï Erdman, un auteur soviétique né en 1900, de la lignée d'un Gogol et de son Révizor, et qui connut un succès monstre avec sa première pièce présentée en 1926, Le Mandat : deux spectateurs y moururent de rire au sens propre du terme ! Avec Le Suicidé, nous restons dans le domaine macabre, mais de manière très particulière, et on n'eut pas à déplorer une mort quelconque à une éventuelle représentation de la pièce, puisque celle-ci fut interdite en 1932, et ne fut jamais jouée du vivant de son auteur. Pas vraiment folle la censure stalinienne : Le Suicidé est une attaque en règle, avec un humour corrosif, de quelques travers de la société d'alors. Qu'on en juge : à l'instar de son lointain ancêtre du Révizor, le « héros » du Suicidé, un certain Sémione Sémionovitch, chômeur de son état, de par sa seule présence et sa soi-disant « fonction » de candidat au suicide, met soudainement au jour, en les dévoilant, tous les défauts et les vices de ses compatriotes. Et là, bien sûr, Erdman se régale et se déchaîne, entre bouffonnerie et dérision, dans un rythme haletant… son tableau de l'entourage plus ou moins lointain de Sémione Semionovitch vaut son pesant d'or, et là la troupe réunie par Patrick Pineau, le metteur en scène – ils sont pas moins de dix-sept sur le plateau, une record par ces temps de disette –, y va de bon cœur, avec une vraie cohérence, travail de longue date en commun oblige. Ce sont là les meilleurs moments du spectacle, car pour ce qui concerne les instants plus intimistes de la pièce, le vaste espace de la Carrière de Boulbon, n'aide pas vraiment à leur mise en valeur ; c'est dommage, car le trio composé de Sémione Sémionovitch interprété par Patrick Pineau soi-même, excellent, sa femme, l'élément déclencheur de l'histoire, Sylvie Orcier, et sa belle-mère, la toujours merveilleuse Anne Alvaro, méritait sans doute un meilleur sort. Reste un spectacle qui, je persiste, aurait mieux été à sa place dans un autre espace – mais les mystères d'une programmation de festival sont insondables, et la Cour d'honneur du Palais des papes que Patrick Pineau avait jadis connue avec Peer Gynt d'Ibsen, revenait de droit à l'artiste associé de la présente édition, Boris Charmatz –, et qui, au fil des représentations (hors Avignon, le spectacle va beaucoup « tourner » la saison prochaine : l'effet Festival ?) trouvera sans doute son rythme. C'est tout le mal qu'on lui souhaite. Pour l'heure la pièce, qui avait déjà inspiré de fins connaisseurs comme Jean-Pierre Vincent ou Jacques Nichet, se rôde tranquillement avec ses moments forts et quelques moments plus languissants.

Jean-Pierre Han