Une disparition

Jean-Pierre Han

8 juillet 2011

in Chroniques

La Librairie le Coupe-Papier qui a toujours été un important diffuseur de la revue Frictions, mieux, un allié, doit fermer ses portes. C'est un nouveau coup dur pour le monde de l'édition (théâtrale). Une ultime soirée à la librairie, le mardi 5 juillet dernier réunissait auteurs, metteurs en scène, directeurs de théâtre, acteurs, critiques ou simples amoureux du théâtre et de sa lecture. Nous publions le texte de l'intervention de Jack Ralite, bien sûr présent ce soir-là.

« Utilisons notre pouvoir d’agir contre la fermeture discrétionnaire de la Librairie Le Coupe-Papier » 5 juillet 2011

Un petit mot, voulez-vous, pour dire que, ce soir, nous entourons par amitié François Leclère et ses collaboratrices Sylvie Podevin et Lisa Bellemère qui faisaient vivre, avec tant d’intelligence et de passion, cette librairie de plus de 50 ans d’âge, située 19, rue de l'Odéon et consacrée au livre de théâtre. Sans tambours ni trompettes, le 15 juin, les 7 tables de littérature qui vivaient à l’initiative de François dans les théâtres de la Colline, de la Commune, des Amandiers, de l’Odéon, avec son annexe des Ateliers Berthier, de la Ville, et du Théâtre 71 de Malakoff étaient retirées sans rencontres, sans discussions, sans le moindre respect. Le 30 juin, c’était le tour de là où nous sommes, avec le licenciement de ses 3 animateurs sans autre forme de procès. Qui peut accepter cette pratique sans réagir ? Un petit calcul en dit la dimension, la gravité : pour les théâtres concernés, en 2009-2010, le chiffre d’affaires livres de théâtre a été de 284 772 euros et, en 2010-2011, jusqu’au 15 juin, de 264 300 euros. Deuxième petit calcul : sur la base de 13 euros pour le prix moyen d’un livre, 21 905 ont trouvé acquéreur en 2009-2010 et 19 264 en 2010-2011 dans ces théâtres amis et soucieux du livre. On nous dira « c’est une affaire privée », et l’argument avancé par les représentants du propriétaire est : « Défaut de rentabilité. » Serait-ce l’illustration de la pensée de Pierre Legendre, « la paix gestionnaire est une guerre » ? Mais le livre, a fortiori le livre de théâtre, n’est pas un produit, c’est une œuvre, et je dis qu’il y a une responsabilité publique d’engagée. Regardons en effet dans le rétroviseur. Il y a quelques années, le même propriétaire fermait l’historique librairie du théâtre de la rue Bonaparte. Un peu plus près de nous, il fermait la librairie Coup de Théâtre boulevard Raspail. Et maintenant Le Coupe-Papier fermerait sans explications du pourquoi. Il ne reste à Paris plus que deux librairies théâtrales, celle du Théâtre du Rond-Point, liée à Actes-Sud et celle de la rue Marivaux. Et les rayons théâtre disparaissent ou ont disparu souvent dans les librairies généralistes. Il y a comme un basculement de la chaîne du livre de théâtre, du lecteur à l’auteur, au comédien, au metteur en scène, au traducteur, en passant par l’éditeur et le diffuseur (librairie ou bibliothèque) et leur mutilation à tous. Je me souviens qu’entre 1982 et 1987, Michel Vinaver avait fait un rapport sur la lecture des livres de théâtre qui fouetta leur écriture, leur édition, leur diffusion, leur mise en scène. Et nous serions aujourd’hui confrontés à la disparition fatale de ces outils de culture et de soutien de la création par manque de rentabilité, hausse du foncier, stratégie du flux tendu ? Il serait intéressant de connaître l’incidence que cela aurait sur des éditeurs comme Les Solitaires intempestifs, Les Éditions Théâtrales, l’Arche Éditeur, etc. etc. Les pouvoirs publics doivent être saisis ; ils ne peuvent splendidement ignorer ces faits. Cette librairie privée assurait, du fait de François Leclère, une fonction précieuse de service public. Ne devrions-nous pas réfléchir à une initiative fédératrice pour la rentrée ? Regardez comme avait réussi le Salon du Livre de théâtre Place Saint-Sulpice. Le pire serait de rester chacun chez soi, à se taire ou à se plaindre. Il vaut mieux porter plainte ensemble, dans une première étape autour d’un texte qui déclive et qui construise. C’est une question de patrimoine. C’est se souvenir de l’avenir. C’est déclencher ce que traduit le beau rendez-vous d’aujourd’hui : votre pouvoir d’agir pour vos métiers, solidaires. Je pense à un mot d’ordre : « Laissez-nous travailler, laissez-nous faire notre métier ! » Et pourquoi ne pas commencer dès juillet à Avignon ?

Jack Ralite, Sénateur de la Seine-Saint-Denis

  Animateur des États généraux de la Culture