Un ''Opéra de quat'sous'' poussif

Jean-Pierre Han

3 mai 2011

in Critiques

L'Opéra de quat'sous de Brecht. Mise en scène de Laurent Pelly. Comédie Française. Jusqu'au 19 juillet. Tél. : 0825 10 1680.

Au moins une décision du ministère de la Culture qui ne fera guère de vagues : la reconduction de Muriel Mayette à la tête de la Comédie-Française, malgré un « quinquennat » artistique mi-figue, mi-raisin, c'est le moins que l'on puisse dire. Mais on sait qu'au ministère ce n'est absolument pas un critère comme a pu s'en apercevoir Olivier Py évincé du Théâtre de l'Europe-Odéon après un excellent bilan… Et puis, cette saison, la Comédie-Française peut s'enorgueillir d'un véritable triomphe : le spectacle de Jérôme Deschamps, Un fil à la patte de Georges Feydeau devant lequel tout le monde s'extasie, mais qui n'est, à nos yeux, qu'un vulgaire spectacle de boulevard, paresseusement mis en scène, et où, c'est la loi du genre, un comédien, pourtant excellent en temps ordinaire, Christian Hecq, est laissé en liberté au détriment de ses camarades de plateau, ne songeant qu'à faire son « numéro »… S'il fallait recommander des spectacles sur Feydeau – très sollicité ces temps-ci – c'est plutôt vers le véritable travail d'Alain Françon qu'il faudrait se tourner. Mais Paris et sa bonne bourgeoisie sarkozyste n'aime rien tant que la frime liée à un authentique mauvais goût. Pour ce qui est du travail théâtral, en parler relève de l'indécence. Bref Feydeau revu et corrigé par Jérôme Deschamps fait un triomphe et a raflé bon nombre de distinctions aux Molières, la chambre d'enregistrement du tape à l'œil bcbg. Bienheureuse Comédie-Française qui, chaque année désormais, est honorée aux Molières. Sans doute est-ce un gage de qualité pour nos autorités ministérielles : il faut bien qu'elle se fie à quelque chose, n'ayant elle-même guère d'opinion sur la question. Il est un autre récent spectacle qui devrait faire plaisir aux abonnés et aux habitués du français : L'Opéra de quat'sous de Brecht mis en scène par Laurent Pelly, aujourd'hui à la tête du Centre dramatique national de Toulouse. Pour l'occasion, pas de problème, la Maison de Molière, elle en a les moyens, a mis les petits plats dans les grands, a fait appel à un metteur en scène qui, en matière musicale tout particulièrement possède un incontestable savoir-faire. On retrouve même au générique du spectacle, en tant que collaborateur artistique, Michel Bataillon, qui travailla longtemps aux côtés de Roger Planchon, au TNP notamment, et qui, au plan théorique (et de la théorie germanique en particulier) est une incontestable référence. Pour le reste, on connaît le talent des comédiens du français et celui des musiciens dirigés par Bruno Fontaine… Le résultat n'est malheureusement pas à la hauteur des espérances. Le spectateur se retrouve devant une énorme machine plutôt poussive, qui permet toutefois de comprendre comment Brecht et Weill se sont fait piégés. Ils avaient eu pour ambition de faire éclater un genre bourgeois de l'intérieur ; c'est le genre bourgeois qui a triomphé et triomphe encore aujourd'hui. Et l'on se retrouve devant un « beau » spectacle (décors, costumes, musique, tout…), bien léché (même les changements de décor sont réglés comme des ballets ; ils ne font, en fait que ralentir le rythme), avec une musique idoine dont tout le monde connaît certains airs passés à la postérité. Pour un peu, on les fredonnerait avec les interprètes. Le texte de Brecht ? Deux, trois répliques bien senties vous font passer des frissons de canaillerie politique dans le dos, et puis voilà… Tout cela est d'autant plus décevant que les interprètes sont d'une désespérante bonne volonté. C'est qu'il leur faut chanter juste ! Il n'y a guère que Véronique Vella dans le rôle de la mère Peachum pour être dans le bon tempo de jeu et de chant ; elle en est époustouflante. Mais le contraste avec ses partenaires n'en est que plus criant… Et puis, la pièce est si souvent jouée qu'il est presqu'impossible, qu'on le veuille ou non, à chaque nouvelle représentation, de ne pas établir des éléments de comparaison. À ce jeu, on se retrouve avec cette version « Comédie-Française » assez loin du compte…

Jean-Pierre Han