Ulysse ou l'éternel retour

Jean-Pierre Han

16 janvier 2011

in Critiques

Ithaque de Botho Strauss. Mise en scène de Jean-Louis Martinelli. Théâtre des Amandiers de Nanterre. Jusqu’au 12 février 2011. Tél. : 01 46 14 70 00.

C’est en 1996 que le dramaturge allemand Botho Strauss écrivit son Ithaque. En France sa pièce n’avait jusqu’à ce jour jamais été jouée. On a envie d’ajouter que l’on comprend pourquoi : sa qualité n’est pas évidente. Elle n’est en tout cas, certainement pas de la même encre que le Temps et la chambre ou que Grand et petit. Il n’empêche, le directeur du théâtre des Amandiers de Nanterre, Jean-Louis Martinelli a cette pièce, selon ses dires, dans un coin de la tête depuis deux ans. Comme une sorte de lancinant appel. Il s’y attaque donc aujourd’hui avec tous les moyens nécessaires pour une œuvre de grande envergure qui narre le retour d’Ulysse dans son royaume où l’attend Pénélope (mais qu’est-ce qu’une attente au bout de vingt ans, les êtres et leurs identités n’étant plus les mêmes ?) harcelée par ses prétendants qui trompent l’attente de la désignation d’un successeur en festoyant aux frais de la maison royale… Ulysse ou l’éternel retour. Botho Strauss qui s’est appuyé sur les derniers chants du retour d’Ulysse de l’Odyssée prend son personnage au moment de son arrivée sur ses propres terres : c’est là où tout commence. Éternel ou impossible retour ? Les problématiques soulevées par la pièce, à défaut de nous convaincre complètement (l’ambiguïté de leurs réponses y est pour beaucoup), sont intéressantes et nous renvoient à nos problématiques contemporaines. C’est dit et répété à l’envi par le metteur en scène et l’aréopage de spécialistes sur la question dans les documents qui accompagnent le spectacle. Documents remarquablement conçus et réalisés qui posent cependant la question de savoir s’il est tout à fait nécessaire d’être muni de tout ce « bagage » pour accomplir le voyage que nous propose le spectacle. Car, et c’est là où le bât blesse, pour ce qui est du voyage justement, on reste sinon sur sa faim, du moins sur un sentiment de déception plutôt vif. Dans un grand déploiement scénographique dû au fidèle Gilles Taschet qui lorgne du côté de l’esthétique d’un Yannis Kokkos (faut-il voir là une citation ?), ce qui se déroule sous nos yeux reste d’une grande platitude. D’autant que les deux « vedettes » de la soirée, Charles Berling (Ulysse, lequel était pour Dante, selon Alberto Manguel, « un menteur et un tricheur condamné au huitième cercle de l’enfer ») et Ronit Elkabetz (Pénélope) ne parviennent guère à insuffler le moindre souffle épique ou poétique sur l’ensemble de la représentation. On les sent plutôt empêtrés dans leurs rôles. Le reste de la distribution suit comme elle peut (mention spéciale toutefois à Gretel Delattre – Athéna –). Le spectacle oscille entre différents statuts de jeu et d’esthétiques sans que l’affirmation de leur nécessaire disparité soit bien explicité. Trop de « grandeur » illustrative sans doute ? L’ensemble reste dès lors bêtement anecdotique et le retour d'Ulysse interminable.

Jean-Pierre Han