Un étrange et inquiétant voyage

Jean-Pierre Han

5 décembre 2010

in Critiques

Petites histoires de la folie ordinaire de Petr Zelenka. Théâtre de la Tempête à Paris. Jusqu’au 12 décembre, puis en tournée. Tél. : 01 43 28 36 36.

Ce n’est pas chose si courante qu’une équipe théâtrale, ici le collectif DRAO qui présente l’immense mérite de véritablement fonctionner en… collectif, trouve et choisisse une œuvre à son exacte mesure. Il semble bien, cette fois-ci, que le collectif DRAO en travaillant sur une pièce du tchèque Petr Zelenka ait fait sinon le bon choix, du moins le choix qui lui sied en tout point. Et pas seulement parce que Petites histoires de la folie ordinaire est une pièce européenne contemporaine comme toutes les autres œuvres auxquelles le collectif s’est colleté, de Jean-Luc Lagarce à Fausto Paravidino en passant par Roland Schimmelpfennig, mais bien parce que la tonalité même de la pièce de Petr Zelenka correspond à son esprit. Un esprit qui aime à vagabonder dans les eaux troubles de la conscience, toujours avec fantaisie et humour, c’est-à-dire, en fin de compte, avec une certaine distance éminemment théâtrale, toutes frontières ouvertes sur d’autres registres. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si Petr Zelenka outre son travail dans le domaine du théâtre, aussi bien au plan de l’écriture que dans celui de la réalisation scénique, ne dédaigne pas d’aller y voir du côté du cinéma (il est réalisateur et aussi scénariste). Rien d’étonnant qu’à la manière d’un Polanski des tout premiers courts-métrages il s’en soit allé du côté de la « folie ordinaire », pour y raconter des « petites histoires ». C’est une de ces petites histoires (constituée de multiples petites histoires) que le collectif DRAO traite avec délicatesse et délectation. Il aime à saisir le passage presqu’imperceptible d’une réalité à une autre, dans une sorte de glissement infini. Terrible glissade qui n’est pas sans rappeler un maître en la matière, Kafka qui aimait rien tant qu’œuvrer dans le quotidien pour nous amener vers des régions inconnues et donc troublantes voire inquiétantes. À ce jeu les sept acteurs du collectif, de Stéphane Falco à Fatima Soualhia-Manet, en passant par Gilles Nicolas ou Sandy Ouvrier sans oublier Thomas Matalou, Benoît Mochot et Maïa Sandoz (il faut tous les citer, collectif oblige), excellent. Le tout dans une scénographie signée Catherine Cosme, qui sert à merveille leur propos. On n’aura garde d’oublier la collaboration du « magicien » Thierry Collet qui apporte son savoir-faire dans ce rêve éveillé qui tourne imperceptiblement au cauchemar, mais un cauchemar qui navigue toujours aux limites du burlesque. Des « petites histoires de la folie ordinaire » qui auraient sans doute fait les délices des surréalistes au temps de leur splendeur.

Jean-Pierre Han