Insaisissable Lulu
Lulu, une tragédie-monstre de Frank Wedekind. Mise en scène de Stéphane Braunschweig. Théâtre national de la Colline. Jusqu’au 23 décembre. Tél. : 01 44 62 52 52.
Que Stéphane Braunschweig, grand connaisseur de la dramaturgie allemande, de Frank Wedekind notamment dont il a déjà mis en scène Franziska à l’Opéra, ait pu se fourvoyer à ce point en montant la célèbre et très sulfureuse Lulu relève du plus pur mystère. À sa décharge on relèvera que l’enjeu qu’il s’est assigné était proprement colossal, c’est-à-dire pratiquement irréalisable : présenter, non plus une version écourtée, voire allégée, de la tragédie « à faire frémir » de l’auteur allemand, mais bien la quasi intégralité de la première version livrée en 1894 sous le titre de la Boîte de Pandore, une tragédie-monstre. Une version que l’auteur scinda très vite (deux ans plus tard) en deux parties tout en la retravaillant et en la complétant avec L’Esprit de la terre. Ce n’est qu’en 1913 qu’une version scénique de ces textes encore une fois remaniés parut sous le titre de Lulu. Cela donne, sous la direction de Stéphane Braunschweig, pas moins de quatre heures de spectacle. Quatre heures d’une mécanique comme aime à les mettre au jour avec une infinie précision le directeur du théâtre de la Colline (c’est sa marque de fabrique), mais qui finissent par tourner à vide. On comprend pourtant bien son projet : redonner au texte de Wedekind sa violente et audacieuse radicalité, ne plus faire de cette Lulu le simple objet des désirs et des fantasmes masculins, mais lui redonner sa propre part de désirs, de tensions et d’obsessions sexuelles la poussant à transgresser tout ce que la société bien-pensante s’évertue à occulter. Belle et sans doute juste ambition qu’il ne parvient hélas pas à mener à bien. Tout dans le spectacle est poussif, pièce bien découpée en séquences, l’une après l’autre, sagement a-t-on envie d’ajouter, et ce n’est pas la scénographie, avec un plateau tournant évoquant plutôt une ronde (Schnitzler n’est pas Wedekind !) qui arrange les choses. Les acteurs dans tout cela ? Ils font preuve d’une incroyable énergie, à l’instar de Chloé Réjon (Lulu), comme s’ils voulaient compenser le manque de chair et de sang de l’ensemble. Quant à parler d’érotisme… À force d’ailleurs le jeu des acteurs devient répétitif. Ce n’est pourtant pas leur talent qui est en cause (Philippe Girard, John Arnold ou Philippe Faure sont d’excellents comédiens), mais ils sont ici à la peine, parfois au bord de la caricature. Seul Claude Duparfait en comtesse elle aussi fascinée par Lulu, en deux ou trois mouvements seulement, parvient, avec un plaisir évident à camper son personnage… Bien maigre récolte pour une « tragédie-monstre ».
Jean-Pierre Han