Un spectacle à contre-sens ?

Jean-Pierre Han

5 octobre 2010

in Critiques

Les Chaises de Ionesco. Mise en scène de Luc Bondy. Théâtre des Amandiers de Nanterre (Festival d'Automne). Jusqu'au 23 octobre à 21 heures. Tél. : 01 46 14 70 00.

Luc Bondy, c’est lui qui l’affirme, a entretenu dans sa jeunesse une relation étroite avec Eugène Ionesco qui était très ami avec son père. Comme quoi on est toujours trahi par ses proches ! Car la mise en scène qu’il nous donne aujourd’hui des Chaises semble aller à l’encontre de l’esprit même du dramaturge. Il semble bien qu’il ait été largement aidé dans cette tache par son scénographe Karl-Ernst Herrmann qui nous offre un vaste espace rectangulaire noir alors que Ionesco est précis jusqu’à la méticulosité sur la question : « Murs circulaires avec un renfoncement dans le fond »… Soyons clairs : je ne prône pas le respect absolu des didascalies, et le metteur en scène a bien le droit d’interpréter à sa manière le texte qu’il a en main… à condition que l’on s’y retrouve, autrement dit qu’un certain esprit de la pièce demeure. Ce n’est pas le cas ici et l’eau, pour prendre un autre exemple, qui entoure l’espèce de tour ou de phare dans lequel sont enfermés le Vieux et la Vieille (les personnages de la pièce) se retrouve tout à coup matérialisée en une petite mare, une flaque, au milieu de la chambre noire ! Voilà pour le décor ; cela ne pouvait commencer plus mal. Et ne parlons pas du ballet des chaises imaginé par l’auteur et réduit ici à un déménagement et à entassement dérisoires. C’est dans ce contexte que Luc Bondy, qui a toujours fait dans le grandiose, se saisit de la pièce de Ionesco et commence à la traiter comme une pièce de… Samuel Beckett ! Le texte est mis à plat, apparaît alors son inanité puisque l’auteur a surtout joué sur la rythmique des répliques et leur sonorité. Et encore si c’était un parti pris, fort contestable au demeurant, tenu jusqu’au bout, sans doute y aurait-il matière à discussion. Mais non, soudain la tonalité change. Les deux vieux (95 et 94 ans selon l’auteur), interprétés par deux comédiens beaucoup plus jeunes, Micha Lescot et Dominique Reymond, parfaits et même sidérants dans leur composition, se mettent volontairement à dérailler (pour ne pas s’installer dans leur personnage ?), à ne plus vouloir aller au bout de leur logique d’interprétation (c’est surtout vrai pour Dominique Reymond). Mais pour le coup alors, la cassure est par trop timide ! D’autant que l’on reste aux antipodes de l’outrance tragique que réclamait Ionesco. Ce ne sont plus des mouvements qui succéderaient à d’autres mouvements comme dans une œuvre musicale, c’est plutôt une cacophonie vide de sens qui nous est jetée en pâture. On rage d’autant plus que réunir deux comédiens de l’intelligence et du talent de Micha Lescot et Dominique Reymond est plutôt exceptionnel. Mais que défendent-ils au juste, avec toute leur maestria ?

Jean-Pierre Han