Discrète partition

Jean-Pierre Han

23 mai 2010

in Critiques

Ciseaux, papier, caillou de Daniel Keene, Mise en scène de Marie-Christine Goma et Daniel Jeanneteau. Théâtre national de la Colline à Paris. Jusqu'au 5 juin, Tél. : 01 44 62 52 52.

Le réel, puisque qu’il n’est plus question ces temps-ci que de cela, comme si le théâtre se devait (sous quelle injonction ?) de l’enregistrer et de le transcrire le plus fidèlement possible. Le réel donc, mais retourné comme un gant cette fois-ci, saisi dans ce qu’il a de plus imperceptible – presque les tropismes de Nathalie Sarraute – c’est tout cela que met au jour la courte pièce de l’australien Daniel Keene que le théâtre de la Colline présente en ce moment, Ciseaux, papier, caillou. Comme une ritournelle à laquelle nous invitent les trois mots désignant ce jeu d’enfants que nous avons tous peu ou prou, pratiqué dans nos cours d’école. Trois petits mots, et puis c’est tout. Car on parle peu dans Ciseaux, papier, caillou. Les mots les plus banals, ceux de la vie quotidienne, semblent venir de très loin… Les silences sont tout aussi, sinon encore plus,… parlants. La pièce est une pièce où ce sont les mouvements, presque furtifs, les rythmes, les sons, qui habitent l’espace. Tout cela est maîtrisé avec une singulière précision et efficacité par Marie-Christine Soma et Daniel Jeanneteau, des orfèvres en la matière qui signent à la fois la mise en scène, la scénographie et les lumières, retrouvant là leur meilleure forme. Le silence règne sur scène : nous sommes dans un théâtre de la dépression, et ce sont des spectres, des êtres passés de l’autre côté du miroir qui évoluent sur scène même si l’entame de la pièce semble nous diriger ailleurs, avec la fille de la maison qui s’agite par saccades au son d’une chanson. Mais dès l’apparition du père de famille, un tailleur de pierre victime du chômage, interprété – et jamais terme n’aura été ici aussi juste, car il s’agit bien là de l’interprétation d’une partition proprement hallucinante, autre mot à prendre dans son acception première – par Carlo Brandt. Comme Marie-Paule Laval, sa femme, Philippe Smith, son ami et Camille Pélicier-Brouet, sa fille, sont au même diapason, autant dire que l’on assiste à un spectacle étonnant, aux limites de la fascination (mais nous n’y tombons heureusement jamais) qui en dit plus long sur le quotidien de l’humaine condition que des discours chargés de bruit et de fureur.

Jean-Pierre Han