Un "Woyzeck" de notre temps

Jean-Pierre Han

15 mars 2010

in Critiques

Woyzeck d’après Woyzeck de Georg Büchner. Mise en scène de Gwenaël Morin. Jusqu’au 2 avril. Tél. : 01 43 57 42 14.

Œuvre inachevée dont nous sont parvenues plusieurs versions, Woyzeckde Büchner autorise les metteurs en scène qui s’y attaquent de choisir l’ébauche qui leur convient, avec un ordre des différentes séquences selon leur bon vouloir. En ce sens on peut dire que chaque mise en scène de Woyzeck est le révélateur, à la fois d’une époque particulière, et aussi de la manière dont l’équipe qui la présente se situe par rapport à son temps. Le Woyzeck d’après Woyzeck que présente Gwenaël Morin et sa compagnie n’échappe pas à cette règle. Bien au contraire. Le titre déjà annonce la couleur. Il sera bien question d’un Woyzeck à la sauce (revendiquée et assumée) Morin. Exit d’ailleurs la mention des deux traducteurs des morceaux choisis, Jean-Louis Besson et Jean Jourdheuil. Pour un peu le nom de Büchner disparaissait ! Voici donc un spectacle qui dévoile les ambitions de Gwenaël Morin et de son équipe. Pourquoi non, puisqu’ils continuent sur la lancée du travail qu’ils ont effectué aux Laboratoires d’Aubervilliers avec leur Théâtre permanent qui a connu un beau et mérité succès (ce Woyzeck y a été créé, dans d’autres conditions il est vrai). Mais dévoiler ses ambitions c’est, dans le cas présent, et comme chez bon nombre de collectifs théâtraux d’aujourd’hui, avant tout parler de soi, et non plus de la pièce. On le remarquera notamment dans quelques jeux de scène plutôt rebattus qui affirment plutôt – comme chez un Jean-François Sivadier par exemple – le travail collectif de cette bande de jeunes : on s’arrête de jouer, on s’avance vers la salle et on reste ainsi alignés… On pardonnerait volontiers ces afféteries si le reste du spectacle développait un propos pertinent. Tel n’est pas malheureusement pas le cas. Gwenaël Morin, prenant au pied de la lettre une des répliques de la pièce : « tu es fou furieux, Franz (Woyzeck) » ne privilégie que cet aspect, lançant son personnage principal sur la piste de l’interprétation de la folie de la manière la plus convenue possible. Hurlements, gestuelle ad hoc, Grégoire Monsaingeon donne de Woyzeck une image peut-être forte, mais totalement réductrice. Tout est l’avenant, même si de-ci de-là quelques bonnes idées de mise en scène nous font davantage regretter un manque flagrant de vision globale cohérente. Woyzeck d’après Woyzeck ? Comment faut-il entendre « après » ? Quel que soit le sens que l’on donne à ce terme, voilà un titre bien ambitieux, et sans doute aurait-il été plus humble de proposer Woyzeck d’après Büchner… Encore un Woyzeck donc bien à l’image de notre temps : vide, dépolitisé, le tout dissimulé sous les oripeaux de la modernité.

Jean-Pierre Han