De la convention à l’incarnation

Jean-Pierre Han

9 décembre 2009

in Critiques

Les Règles du savoir-vivre dans la société moderne de Jean-Luc Lagarce. Mise en scène de François Berreur. Théâtre de l'Athénée-Louis Jouvet. Jusqu'au 12 décembre. Tél. : 01 53 05 19 19.



Au Théâtre de l’Athénée, cette fin d’automne est placée sous le signe d’un hommage à Jean-Luc Lagarce. On pouvait ainsi y assister, en novembre, à une reprise de la mise en scène de La Cantatrice Chauve imaginée par Lagarce en 1991. Cette reconstruction se basait à la fois sur les archives détaillées laissées par le metteur en scène, mais également sur l’expérience des comédiens de la Cie les Intempestifs, qui furent pour la plupart ses proches collaborateurs. Cette même troupe présente désormais Les règles du savoir-vivre dans la société moderne, texte pour le moins atypique dans l’œuvre de l'auteur. Ce petit inventaire froid des convenances sociales, religieuses et administratives, discrètement émaillé de sous-entendus cyniques, étonne d’abord par sa forme audacieuse. En effet, derrière sa sobriété trompeuse, le texte laisse poindre, au détour d’un mot, la critique moqueuse, parfois grinçante, de ces usages. A cet égard, le travail de direction d’acteurs de François Berreur fait figure de véritable travail d’orfèvre : toute en nuance, Mireille Herbstmeyer interprète une partition rigoureuse avec virtuosité, permettant ainsi au spectateur d’apprécier pleinement la subtilité de l’auteur. Ce jeu extrêmement ciselé ne peut qu’emporter l’adhésion du public, à l’affût de chacun de ces dérapages contrôlés. A partir de là, nul besoin d’habillage scénique, ni de franfreluches décoratives ; on apprécie ainsi le bon goût du metteur en scène, qui propose pour tout décor une table et une chaise devant un pendrillon rouge abaissé, et en guise de costume un tailleur strict, un brin démodé. Ici, l’apparat ne vient pas faire diversion. La proposition est d’autant plus intelligente qu’elle est modulable : de même que le texte introduit progressivement, en filigrane, la véritable fable d’une vie, la grande dame impitoyable qui l’énonce se fait fragile, s’échevèle et se délivre progressivement du carcan de ses perles et de ses épingles à cheveux. Presque mise à nu, elle livre alors, à mots cachés, une esquisse de son parcours : le mariage, les noces d’argent, les noces d’or, les enterrements… On est sans conteste ému de la voir se débattre avec les fantômes de ses déceptions, et pourtant, quelque chose manque. Si le début du spectacle avait promis au spectateur du rire grinçant, une grande connivence scène-salle et une ambiance somme toute plutôt détendue, la suite vient malheureusement infirmer ces acquis. L’apparition d’une incarnation du personnage nous rappelle brutalement qu’on est au théâtre, et nous assène à nouveau son lot de conventions. On ne rit plus vraiment, on étouffe : on s’ennuie. Les envolées cyniques de Lagarce sont mises en sourdine, elles ne résonnent presque plus… Il y a là deux pièces en une, mais qui ne s’accordent pas bien ensemble. Et le spectateur ressemble soudain à un enfant à qui l’on aurait confisqué sans crier gare le jouet qu’il avait dans les mains. Sauf que lui applaudira tout de même, au moins pour célébrer ce spectacle qui avait si bien commencé.

Chloé Vollmer-Lo