Subtiles variations
Philoctète de Jean-Pierre Siméon. Théâtre de l’Odéon jusqu’au 18 octobre, puis TNP-Villeurbanne du 18 novembre au 23 décembre. Tél. : 01 44 85 40 40.
Voilà sans aucun doute possible l’un des plus beaux projets de la rentrée théâtrale qui ne doit rien au hasard. Christian Schiaretti, le metteur en scène tout auréolé de ses réussites de Coriolan de Shakespeare et de Par-dessus bord de Michel Vinaver, décide de revenir pour la troisième fois sur Philoctète. De manière transversale si j’ose dire, car cette fois-ci ce n’est plus l’œuvre de Sophocle qui est sollicitée, mais celle de son compagnon de route en poésie, Jean-Pierre Siméon. Christian Schiaretti lui commande donc « une variation à partir de Sophocle ». Jean-Pierre Siméon s’exécute en poète qui connaît l’art du théâtre sur le bout de la plume. Pour porter, chanter sa langue et la souffrance du personnage de Philoctète, un homme d’une exceptionnelle et généreuse aura, Laurent Terzieff, que le théâtre public accueille à nouveau, après un long, trop long temps d’absence, accepte avec ferveur de faire partie de l’aventure. Une aventure qui débute en un lieu, le théâtre de l’Odéon, où sa dernière apparition remonte à un demi-siècle dans le rôle de Cébès dans Tête d’Or de Claudel auprès d’un autre monstre de la scène, Alain Cuny. Avant de s’établir dans la maison mère, au TNP de Villeurbanne (c’est un travail de cette équipe) et de partir sur les routes, en tournée… Tous les éléments étaient donc là, réunis pour une totale réussite. Or, comme souvent, lorsque l’événement a été ardemment attendu, c’est un léger sentiment de désappointement qui finit par prédominer. La représentation ne correspondrait donc pas à ce que à quoi l’on s’attendait ? J’en vois un début d’explication dans l’écriture même de Jean-Pierre Siméon. Son texte est beau, je le répète, mais en soi ; il se suffit presqu’à lui-même. L’écriture pleine de l’auteur ne laisse aucun espace au metteur en scène pour s’immiscer en elle. De fait Christian Schiaretti semble gêné aux entournures. Il ne lui reste plus qu’à surajouter au texte, voire à illustrer ce qui est déjà signifié et fait déjà corps. D’où cette impression de sur-jeu de certains comédiens. Pourquoi donc David Mambouch, par ailleurs bon comédien, dans le rôle de Néoptolème, se sent-il obligé de hurler comme s’il jouait sur la scène d’Epidaure ? Pourquoi Johan Leysen, Ulysse, « assure-t-il » sa partition de cette manière, la plus conventionnelle, « odéonesque », possible ? Pour être au diapason avec le monstre sacré, Laurent Terzieff, lequel semble hésiter entre plusieurs registres de jeu, jouant toutefois de toutes les gammes en virtuose ? Apparaissent alors aussi les coutures de la mise scène, cousue de fil blanc dans ses tracés, dans sa géométrie. Dans sa variation de la pièce de Sophocle, Jean-Pierre Siméon affirme avoir surtout voulu souligner la solitude du personnage principal. Gérald Garutti, le conseiller littéraire de l’équipe, parle carrément de « héros de la solitude ». La solitude et la souffrance ; c’est vers l’intime que se penche l’auteur (voir aussi le rapport entre le jeune Néoptolème, fils d’Achille, et Philoctète, voire entre Néoptolème et Ulysse). Au détriment du politique ? Pas forcément. Le texte de Siméon en rend également intelligemment compte, mais de manière secondaire. A insister ainsi sur l’intime, c’est vers le drame que penche la pièce, plus que vers le tragique. Du côté d’Euripide (qui écrivit aussi sa version de l’histoire, mais son texte ne nous est pas parvenu), plus que du côté de Sophocle, si on reprend la distinction qu’opéra Nietzsche entre les deux dramaturges grecs.
Jean-Pierre Han Critique parue dans Les Lettres françaises du 3 octobre 2009