Révolte à nu

Jean-Pierre Han

26 juillet 2009

in Critiques

La Mensogna de Pippo Delbono. Cour du lycée Saint-Joseph. À 22 heures. Jusqu’au 27 juillet

Pippo Delbono pratique un théâtre à la première personne du singulier. En vertu de quoi il lui est vertement reproché de faire toujours le même spectacle. Argument plutôt spécieux, pas vraiment juste, mais qui permet d’éviter d’avouer que ses spectacles choquent et déplaisent. Comment reprocher à un artiste de toujours creuser le même sillon ? Ce que, bien entendu, fait très consciemment Pippo Delbono entouré de son éternelle tribu. L’intérêt, avec lui, consiste à distinguer les mille et une variations d’un spectacle à l’autre. Variations accompagnées d’une radicalisation de son propos. Ainsi en est-il de La Mensogna, né – c’est précisé en début de spectacle – de l’annonce de la mort de sept ouvriers brûlés vifs dans l’incendie de l’usine Thyssen-Krupp à Turin en 2007. Et sans doute faut-il, au fil des différentes séquences que Pippo Delbono et ses compagnons enchaînent tout au long su spectacle, avoir cette précision en tête. Elle donne très ouvertement la clé de la démarche de l’auteur-metteur en scène italien. Finies les grandes parades bariolées des premières réalisations, la mort est là qui travaille l’artiste. Déjà son avant-dernier spectacle, Questo buio feroce, nous plongeait ouvertement dans un univers saisi par la maladie et la mort, mais encore y avait-il encore quelques parades et défilés en couleurs. Avec La Mensogna ne restent plus que des tableaux en noir et blanc, et Pippo Delbono criant, hurlant sa révolte devant « le mensonge » (c’est le titre du spectacle en français), quasiment sans apprêt, sans fable, à nu, pour ainsi dire. Car Pippo Delbono, cette fois-ci, se met à nu au sens propre comme au sens figuré devant nous. Et c’est peut-être cela qui est insupportable pour certains, cette impudeur fondamentale pour dénoncer l’injustice du monde dans lequel nous vivons, pour dénoncer notre dérisoire condition humaine. Insupportable vraiment ? Mais qu’est-ce qui est vraiment insupportable ? La mort des sept ouvriers ? Le mensonge partout présent, en politique, au théâtre, ailleurs encore ?… C’est ce qu’affirme en tout cas Pippo Delbono, et qu’il traduit scéniquement, à sa manière qui ne respecte aucune règle préétablie. C’est ce qui demeure bouleversant dans un monde qui n’a cure de ce type de sentiment.

Jean-Pierre Han