Une totale réussite
Ode maritime de Fernando Pessoa. Mise en scène de Claude Régy. Salle de Montfavet. Jusqu’au 25 juillet à 22 heures.
Claude Régy doit-il se faire du souci ? Lui qui ne s’est jamais tant réjoui que lorsqu’il divisait le public, rejoignant en cela, autre paradoxe, les préceptes de Brecht, est en passe de faire, pour cette édition du festival, la quasi unanimité sur le spectacle qu’il nous présente à la salle Montfavet, hors remparts. Ode maritime de Fernando Pessoa qu’il dirige peut d’ores et déjà être considéré comme l’une des grandes réussites, sinon la grande réussite de ce festival. Voilà qui n’étonnera certainement pas ceux qui ont suivi la trajectoire secrète du metteur en scène, je veux désigner par là celle qui passe par des œuvres comme Trois Voyageurs regardent un lever de soleil de Wallace Stevens, ou plus récemment des Psaumes traduits par Henri Meschonnic plutôt que par des pièces de théâtre. C’est sur ce type d’écriture que son attention se fait le mieux jour. Et Ode maritime de Fernando Pessoa, une splendeur poétique, permet de mieux lire son travail à la précision à la fois chirurgicale et musicale. Comme c’est Jean-Quentin Châtelain, un comédien qu’il connaît mieux que quiconque, et dont il sait tirer toutes les singulières ressources poétiques, qui est son intercesseur, autant dire que la réussite est absolue. Silhouette massive, comme alourdie par le temps, campé de façon terrienne sur ses pieds, le comédien, monte sur une passerelle ouverte sur le public, et là, il module le texte dans toutes ses dimensions, immobile, une heure trente durant, et que d’infimes mouvements viennent souligner. Le vrai mouvement est dans la voix.Un rare moment d’émotion surgit au cœur d’une superbe scénographie géométrique, entre horizontalité et verticalité, comme toujours signée Sallahdyn Khatir, et que de subtiles intensités lumineuses viennent non pas dévoiler, mais au contraire graduer les ombres. « Je te salue vieil Océan » ! Ce n’est pas tant vers Lautréamont que Pessoa tourne ses regards, mais vers Coleridge ou encore Walt Whitman, usant de divers registres, espaces et temps entremêlés ; Claude Régy parvient à suivre les méandres de ce parcours intime : c’est admirable, en toute complexe simplicité.
Jean-Pierre Han