Entre constat et dénonciation

Jean-Pierre Han

22 mai 2009

in Critiques

Stuff Happens de David Hare. Théâtre des Amandiers de Nanterre. Jusqu’au 14 juin à 20 h 30. Tél. : 01 46 14 70 00

C’est un étrange objet que ce Stuff Happens du dramaturge anglais David Hare, bien connu (pas suffisamment sans doute en France) pour ses œuvres souvent en prise directe avec la réalité politique du moment. Ce sentiment d’étrangeté ne fait que s’accroître avec le temps qui éloigne le sujet évoqué de sa réalité vécue. Ainsi Stuff Happens rend compte avec acuité des manœuvres des Etats-Unis après les attentats des tours du Word Trade Center pour provoquer la guerre en Irak. La pièce de David Hare fut créée en 2004 à Londres, un an à peine après que les troupes américaines se soient emparées de Bagdad et que George W. Bush ait annoncé la fin des opérations militaires en Irak (la mission américaine ayant été accomplie !). Les événements étaient donc encore chauds, et ce qui se dit dans la pièce (une bonne partie des répliques est la transcription exacte des propos tenus par les protagonistes mondiaux) dans la tête de tout un chacun. Ce n’est plus forcément le cas aujourd’hui. La perception des événements ne peut plus être la même. Du coup la question que le spectateur de 2009 se pose est de savoir s’il se trouve devant du théâtre documentaire ou pas. L’auteur a pris soin de répondre par la négative, mais il n’est pas sûr que ce que l’on voit sur le plateau du théâtre des Amandiers de Nanterre lui donne raison. La faute alors aux metteurs en scène Bruno Freyssinet et William Nadylam ? Pas forcément ou alors en partie dans la mesure où ils s’acharnent, notamment en début de spectacle, à donner, dans le mouvement même de leur travail, cette vision d’un théâtre documentaire. Ce qui nous taraude alors c’est de savoir où se niche la théâtralité dans tout cela, c’est de déceler ce qui, dans le texte de David Hare est de l’ordre de la retranscription de propos réellement tenus par les protagonistes et ce qui est de l’ordre de son imagination. Le ballet presque mécanique auquel se livrent les quatorze comédiens n’y peut mais, et l’on attend un souffle d’air, que le théâtre enfin s’installe, ce qui finit tout de même par se produire. Alors oui, le spectacle se met à porter. Et l’on peut enfin admirer le travail d’un Greg Germain dans le « rôle » de Colin Powell, le secrétaire d’État des Etats-Unis, ceux d’un Daniel Berlioux (Dick Cheney) ou d’un Arnaud Décarsin ( (Tony Blair). Le spectacle s’établit définitivement dans la deuxième partie avec notamment l’apparition de Dominique de Villepin (incarné par Philippe Duclos). Il n’évite toutefois pas quelques redites et longueurs. Reste qu’il est d’une efficacité redoutable. Ce qui était sans doute sa visée première.

Jean-Pierre Han